Dimanche 24 janvier, la messe à Akamasoa a été célébrée encore une fois avec une grande joie, après deux dimanche où nous avions baptisé 419 petits enfants. L’église était pleine, bien que beaucoup de parrains et de marraines, venus de l’extérieur lors de ces deux dernières semaines, ne fussent pas revenus.
Dans notre église, nous venons de rehausser le toit et cela a donné plus de lumière à notre espace de prière et de rassemblement. Maintenant on peut voir cette multitude de frères et sœurs qui se réunissent tous les dimanches pour écouter la parole de Dieu et recevoir le corps du Christ.
L’évangile que j’ai lu ce dimanche concernait justement le début de l’action publique de Jésus : après son baptême dans le Jourdain, Jésus revient en Galilée dans sa ville natale de Nazareth et, le jour du Sabbat, il entre dans la Synagogue où on lui donne le livre d’Isaïe pour qu’il en fasse lecture. En ouvrant ce livre, il lit le passage où il est écrit : l’Esprit du Seigneur est sur moi, parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction, il m’a envoyé porté la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, remettre en liberté les opprimés et annoncer une année de grâce accordée par le Seigneur. Et Jésus d’ajouter : Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Ecriture que vous venez d’entendre (Lc 4, 18).
J’étais tellement heureux d’entendre ce message qui sera le programme de vie de Jésus, et que j’ai suivi dans la prêtrise. C’est ce Jésus ami des pauvres, ce Jésus libérateur, ce Jésus plein d’humilité et de courage qui apporte la liberté aux opprimés qui m’a séduit dès l’âge de 15-16 ans.
Ce dimanche, je suis allé m’asseoir au milieu de la foule, et c’est, comme Jésus l’a fait, parmi le peuple d’Akamasoa que j’ai fait mon homélie, les yeux fermés pour puiser davantage de concentration et comprendre plus profondément ces paroles de l’évangile. Je crois que cette première homélie de Jésus dans une synagogue, devant le peuple, est la plus courte de toutes les homélies qu’il prononcera. Un exemple pour nous les prêtres de ne pas rêver ni rajouter des phrases littéraires, théologiques ou même scientifiques, que nous faisons souvent pour séduire l’auditoire, quand en fait c’est l’Esprit Saint qui devrait nous inspirer et parler à travers nous. Quand l’Esprit parle, il suffit de quelques phrases bien concrètes tirées de la vie de tous les jours pour que les fidèles soient atteints dans leur cœur et leur esprit.
J’ai dit ensuite à mes 7 000 frères présents lors de cette Eucharistie : « Chers frères, quand il s’adressait à ses frères à Nazareth, Jésus n’avait aucun habit distinctif. Il n’est pas resté au pupitre pour s’adresser à la foule de haut en bas, mais il est allé s’asseoir au milieu du peuple dont il est sorti, pour leur dire : aujourd’hui les Ecritures se sont accomplies ».
Cette humilité de Jésus fils de Dieu fait homme, qui n’est pas venu avec la force du pouvoir, ni de l’argent, ni d’aucun prestige, mais avec la force de l’Esprit dont il était oint par Dieu, pour témoigner de la Vérité et de l’Amour.
Il me revient à l’esprit que le Dieu de Jésus est un Dieu qui nous surprend tout le temps, un Dieu qui voyage avec son peuple, un Dieu qu’on ne peut pas assigner à résidence définitive ni fixer dans aucun siècle ou retenir dans un temple, si beau soit-il, car aucun temple ne peut enfermer son Esprit d’amour et de liberté.
Et je ne peux pas oublier non plus les paroles de Jésus à la Samaritaine, ces paroles qui m’ont frappé dès le plus jeune âge : Mais l’heure vient, et elle est déjà venue, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; car ce sont là les adorateurs que le Père demande (Jn 4, 21-23).
J’ai compris ce dimanche, assis au milieu de ce peuple de Dieu dont je fais partie, que la nouveauté apportée par Jésus a été si grande qu’aucune génération n’a pu la saisir ni la comprendre entièrement. Et cette nouveauté est rappelée à revivre à chaque génération, et ce jusqu’à la fin du monde, quand elle aura lieu.
Cette nouveauté, nous les baptisés au nom du Christ, nous ne l’avons jamais vraiment assimilée dans notre esprit et notre cœur, nous ne l’avons jamais mise totalement en pratique, parce que nous hésitons, nous avons peur et honte de ce que penseront et diront les gens ; parce que cela dérange aussi de s’exposer, parce que dénoncer les injustices provoque des exclusions, et que défendre les opprimés apporte des ennuis et des persécutions dont nos frères dans la foi, en Syrie et en Irak, témoignent, nous préférons faire profil bas et « avoir la paix ».
Ce Jésus nouveau qui apparaît dans cette lecture, nous le chercherons toute notre vie et les générations qui nous suivront feront de même.
Mais j’ai senti ce dimanche, avec ce peuple, une telle communion, une joie qu’il m’est difficile de décrire, mais que j’ai vécue durant presque 3 heures, durant le temps où nous avons ensemble écouté la parole de Dieu et célébré l’Eucharistie.
Avant de finir l’homélie, j’ai demandé à tous les frères et sœurs présents de mettre leur main droite sur l’épaule de leur frère d’à côté, et de constituer ainsi une chaîne d’amitié pour sentir que nous faisons tous, ensemble, le corps du Christ, l’Eglise vivante aujourd’hui, ici et maintenant. Un geste peut signifier quelques fois beaucoup plus que de longs discours l’unité. Et nous savons bien combien nous avons besoin de cette unité, de cette amitié et de cette communion durant l’Eucharistie. A ce moment, la joie des enfants et des fidèles présents était palpable, parce qu’un esprit planait au-dessus mais aussi à l’intérieur de chacun de nous.
C’est ainsi qu’à la fin de la messe, une sœur malgache, missionnaire à Cleveland (Etats-Unis), a dit, lorsqu’on lui a donné le micro : je me suis sentie ici comme au ciel. Une autre sœur, congolaise, de passage à Akamasoa a ajouté : je ne savais pas qu’un tel lieu existait, un lieu d’une telle joie. Et une famille française après la messe, devant la porte d’entrée : si en France il y avait autant de joie dans une messe, les gens reviendraient prier.
En toute humilité, je dirais à mes frères les prêtres : quand nous présidons l’Eucharistie, c’est par grâce, et seulement par grâce gratuite donnée par Dieu, sans aucun mérite de notre part.
Ce n’est pas nous les prêtres, mais Jésus qui réunit l’assemblée de frères et sœurs qui sont tous des disciples de Jésus baptisés en son nom, qui ont tous aussi reçu l’onction de Sainte Huile (SC), ce sacrement donné à tous les chrétiens, et qui a fait de ce peuple un peuple de prêtres, de prophètes, un peuple royal.
Pourquoi nous sommes-nous, nous les prêtres, si éloignés du peuple de Dieu, en créant un fossé entre le peuple et les prêtres, quand tous les deux ne font qu’un seul corps sans aucune distance ?
Cette distance n’était pas voulue par le Christ, mais ce sont nous les hommes qui l’avons créée, avec cette mentalité de culture païenne restée en nous. Beaucoup de cultes païens, en effet, se sont greffés à notre liturgie, et nous les avons sacralisés à l’extrême, faisant du peuple de Dieu un spectateur, qui regarde sans participer, qui ne vient là que pour accomplir une loi de présence au jour du Seigneur. Et c’est peut-être une des raisons qui expliquent que beaucoup d’églises se sont vidées de leurs fidèles, puisqu’on sentait si peu d’amitié, de fraternité et de communion dans nos Eucharisties.
Nous n’avons aucune formule magique pour attirer et convaincre les gens qui eux aussi sont éloignés de la grâce et de l’amour de Dieu, les tentations sont grandes, celles de l’argent, du pouvoir et du sexe mal compris, qui nous font tous pencher vers l’égoïsme, le chacun pour soi et l’indifférence, et qui forment ensuite des personnes qu’il est difficile de tourner vers la prière et l’adoration du Dieu d’Amour.
Chacun, nous les prêtres et chaque fidèle, nous avons besoin de la conversion personnelle pour suivre Jésus. Jamais et nulle part dans le monde, il ne sera facile d’attirer les gens à accepter et vivre l’évangile. Car il y a toujours un renoncement de soi-même à faire, un effort d’acceptation de l’autre comme son frère, même d’autres race, culture et civilisation, ainsi qu’un don de sa vie pour celui qu’on aime ; et cela ne sera jamais facile.
Mais nous savons par expérience que là où il y a la joie, la participation, le partage des richesses et la fraternité, les gens viennent d’eux-mêmes. Mais cette joie, cette fraternité se créent avec beaucoup d’imagination et d’efforts, d’incompréhension et de douleur.
Jésus est passé par là, il a été contesté, insulté, incompris, mais il a persévéré jusqu’à la croix, où il a souffert et assumé tous les maux qui attaquent l’être humain. Il a vaincu dans sa propre chair le mal qui est l’adversaire redoutable de tout être humain.
Et c’est à partir de sa résurrection que tout a changé, parce que tous nous sommes sauvés par cette résurrection qui nous a été donnée gratuitement comme un don d’amour de Dieu pour chacun de ses enfants, ces enfants que nous sommes. Et cette résurrection que nous célébrons chaque dimanche doit vraiment ressembler à une communauté de ressuscités : une telle communauté a un visage heureux, radieux, plein de joie et d’espérance, de fraternité et amour, tout cela doit se lire sur les visages des frères et sœurs présents. Bien sûr cela peut n’être que de beaux souhaits, mais il y a des endroits sur notre terre où ces communautés existent.
C’est ce que nous essayons de faire à Akamasoa, avec des jeunes, des enfants et des adultes, avec tous les frères et sœurs touristes qui viennent de différentes nations, chaque dimanche, depuis 20 ans. Et chaque dimanche, c’est une nouvelle liturgie, une nouvelle vie de Dieu que nous essayons de vivre et de comprendre dans notre cœur et notre esprit.
Chaque dimanche, on vit la nouveauté de la parole de Dieu et de l’Esprit de Jésus à Akamasoa.
En toute humilité et simplicité, nous vous disons comme Jésus a dit à ses apôtres : venez et voyez.
Père Pedro