Nous sommes confrontés tous les jours à deux grands problèmes.
Les cas spéciaux
Tout d’abord, les personnes qui viennent chercher de quoi vivre, de la nourriture et nous exposer leurs problèmes, leur drame familial. Souvent une mère seule avec 4, 5, 6 ou 7 enfants, et qui toute seule ne peut les faire vivre, ni les soigner, et encore moins les scolariser.
C’est ainsi que nous avons pris en charge 450 familles qui ont des problèmes particuliers, des drames uniques ; nous les avons appelés des cas spéciaux. Cela veut dire que la maman toute seule ne peut subvenir aux besoins et pour qu’elle puisse retrouver un minimum d’esprit et ne pas céder au découragement, nous l’aidons en lui donnant un travail léger (dans l’assainissement ou jardinage de nos villages) et ensuite avec un octroi hebdomadaire de riz, afin que ses enfants puissent manger à leur faim et, bien sûr, aller à l’école.
Ces cas spéciaux nous coûtent cher, puisque ce sont des drames uniques qui doivent être résolus par une aide ponctuelle et sur le long terme, sans que ces personnes puissent produire quelque chose pour la vente, ou entraîner une rentrée d’argent pour la communauté.
Bien sûr, parmi ces cas, se faufilent aussi des personnes qui au début avaient caché leur vrai caractère ou tempérament. Et c’est pour cela que tous les ans, Akamasoa revoit chaque cas, afin de voir si c’est un cas qui mérite d’être encore aidé, ou si la personne a déjà acquis une autonomie, et peut se prendre en charge elle-même.
Des aides destinées à permettre l’autonomie
Le but central de ces aides, en effet, c’est que ces familles, après un temps, deviennent autonomes. Mais acquérir cette autosuffisance demande d’abord que nous les aidions !
Puisque dans le pays, de nombreux politiciens, pour avoir des votes, mettent les personnes dans la dépendance, et les gardent dans cette situation pour les dominer et conserver leurs voix…
Nous tenons à cette autosuffisance, car il s’agit de la dignité de la personne humaine. Mais il ne suffit pas de le dire, et d’en faire un slogan politique. Cette autosuffisance, il faut aussi convaincre la personne qu’elle est nécessaire, la persuader de s’engager dans ce combat pour tenir debout. Mais des habitudes passées sont parfois très ancrées dans la personne, et elle n’entend pas ce que nous lui disons à propos de la dignité.
Cependant, quand nous voyons que des gens, de faibles et malades qu’ils étaient au début, ont retrouvé la santé, nous leur demandons de faire un travail plus important, à la carrière par exemple, pour qu’ils puissent produire quelque chose et obtenir un salaire. Cela serait le signe concret qu’ils sont devenus autosuffisants !
Des refus violents
Mais parfois, parmi ces gens qui ont retrouvé une santé normale, certains refusent catégoriquement d’accepter la charge d’un travail normal et insultent les responsables qui font l’enquête.
Cela signifie que ces personnes prennent Akamasoa comme une entité d’Etat, de laquelle ils attendent une aide sans aucune contrepartie, sans aucun devoir de leur côté. Et de nombreuses personnes menacent les responsables, si jamais elles se voient couper les aides qu’elles recevaient jusqu’alors.
Il est certain que nous ne cédons ni aux menaces ni au chantage, et nous prenons le temps qu’il faut pour ramener ces personnes à la raison, les reconduire aux responsabilités qu’elles ont devant leurs enfants, afin que ceux-ci ne s’habituent pas à quémander et à recevoir des choses gratuitement. Et Dieu seul sait combien de paroles dures doivent encaisser les responsables !
Il arrive aussi que ces personnes m’invectivent de façon blessante, en disant, par exemple : « toi mon père, tu n’écoutes plus les plus petits ! »
C’est certain que sur le coup de telles paroles, on se sent mal à l’aise, blessé, on a envie de répondre par la même violence. Mais on sait aussi que ces personnes ont vécu tellement longtemps dans la rue, enfermées dans des habitudes et des astuces dont elles étaient victimes, qu’il est difficile de les leur enlever par un coup de baguette magique.
Des blessures longues à guérir
Dans ces situations, il faut rester ferme et en même temps comprendre leur détresse. Nous sommes engagés à tout faire, ici à Akamasoa, pour éduquer les gens, leur faire prendre leurs responsabilités, les faire réfléchir sur l’avenir de leurs enfants, tout en ayant l’esprit de travail, de vérité et de respect envers les normes et les lois que nous avons créées dans notre communauté.
Les gens qui passent, certainement, ne pourront jamais imaginer que derrière un sourire, se cache une âme violente, blessée, qui se croit toujours victime et qui réagit au moment venu avec beaucoup de brutalité.
L’expérience avec les pauvres nous montre que l’accompagnement, le dialogue, le fait de les aider à dégager toutes les blessures de vie qu’ils portent en eux, est autant nécessaire que l’aliment et la maison qu’on leur donne. Car ces familles doivent comprendre qu’on est là pour changer, devenir meilleur, plus responsable devant sa famille et la communauté.
Dans la rue, la loi qui prévalait était la loi du plus fort, la loi de la jungle. Et nous avons mis quelques fois une dizaine d’années, voire plus, avant de pouvoir changer des cas assez nombreux de ce genre, et cela je vous assure que ça use vos nerfs, ça use votre patience, votre idéal et tout votre être !
Mais on tient toujours debout, avec les responsables de l’accueil, car la vérité et l’amour qui nous unissent sont plus forts que l’astuce, la méchanceté et l’égoïsme qui avaient enchainé la vie de nos frères dans la rue.
Un accueil sans relâche pour chacun
Ce travail d’accueil, d’aide pour les familles en détresse, nos « cas spéciaux », nous devons le revoir continuellement, puisqu’il s’agit de l’avenir de ces enfants.
Nous pouvons dire que rares sont les cas où nous avons invité les gens à partir d’Akamasoa, parce qu’ils ne voulaient pas du tout accepter l’état d’esprit qui est le notre, et qui consiste à mettre les gens debout, à refuser un assistanat incompatible avec le combat pour la dignité humaine.
Sur 27 ans de travail, peut-être avons-nous invité une dizaine de familles seulement à nous quitter, mais à chaque fois aussi, nous les avons aidées dans leur départ. Nous n’avons jamais mis une famille à la rue. Mais pour empêcher qu’elle fasse tâche d’huile, qu’elle décourage les autres et passe le virus de la paresse et de l’assistanat, nous avons déjà été obligé de nous séparer de quelques unes d’entre elles.
Et ce problème continue.
Nous venons de faire cette semaine une révision des cas spéciaux. Nous avons invité des dizaines de familles à quitter leur situation de cas spécial pour occuper un travail normal, afin de pouvoir elles-mêmes faire vivre leurs familles.
Comme on pouvait s’y attendre, cela ne s’est pas passé sans conflit ni paroles blessantes. Mais nous croyons que l’amour que nous portons à ces familles et ces enfants est plus fort que ces crises passagères que nous devons subir, et que ces personnes réussiront à leur tour à prendre leurs responsabilités, à se battre pour leur avenir et à retrouver leur dignité d’être humain. Cela ne se fait pas immédiatement…
Les malades
Un autre problème aussi très difficile est le soin des malades. Nous avons beaucoup de malades qui n’ont aucun moyen pour subvenir à leurs maladies, et qui sont obligés de venir demander une aide spéciale aux responsables d’Akamasoa.
Les maladies n’épargnent personne, pas plus les enfants, que les jeunes ou les personnes âgées, les mères ou les pères de famille.
Nous recevons également beaucoup de demandes de malades en provenance de la Capitale, qui doivent être opérés d’un cancer ou d’autres maladies et qui n’ont aucun moyen de payer cette opération.
Quand c’est une personne de l’extérieur qui vient nous demander une telle aide, nous faisons une visite à domicile pour voir si son histoire est vraie, et si réellement elle n’a aucun moyen de payer cette opération.
Mais quoi qu’il arrive, quand nous voyons ces malades qui nous supplient, nous ne pouvons pas refuser l’aide qu’ils nous demandent.
D’un autre côté, nous savons aussi qu’en aidant les gens de la ville, cela fait courir la nouvelle qu’Akamasoa peut aider tous les malades de la Capitale, ce qui n’est pas vrai et en même temps impossible.
Alors chaque fois que nous aidons une famille qui ne vient pas d’Akamasoa, nous lui disons de tenir secret cette aide qu’elle a reçue, de ne parler à personne, parce que sinon nous aurons à recevoir des cas pareils quotidiennement.
Une équipe dédiée
Concrètement, nous faisons un suivi de tous nos malades en ville. Il y a à peu près 18 malades dans plusieurs hôpitaux d’Antananarivo, à qui il faut emmener un repas par jour, puisque l’hôpital ne donne rien. 6 personnes d’Akamasoa vont partager la nourriture tous les jours avec eux, dans leurs chambres d’hôpital. 4 personnes font la cuisine pour eux quotidiennement. Et 7 chauffeurs se relaient jour et nuit, pour la permanence de nos 2 ambulances, entre Manantenasoa et Andralanitra. Au total, ce sont 16 femmes et 1 homme qui composent l’équipe de soins pour les malades dans les hôpitaux.
Cela a un coût important, mais nous voyons que cela marche, redonne force et espoir aux malades, et surtout les guérissent, même si trop souvent encore, des maladies finissent par le décès.
Cette semaine, ce sont déjà 4 personnes qui sont décédées : 2 enfants, une personne âgée et un père de famille.
Une sécurité sociale et nationale absente
Les personnes qui travaillent à Akamasoa participent avec une petite somme pour la caisse maladie. C’est certain que cela ne peut pas suffire pour leurs soins, mais puisque nous sommes des milliers, cela aide, et Akamasoa subventionne tout le reste.
L’achat des médicaments est hors de portée de 92 % des malgaches, qui ne peuvent pas plus se permettre une opération.
Les soins des malades d’Akamasoa et des malades de l’extérieur est une charge difficile du point de vue humain, car il faut réagir vite, avoir de la compassion avec celui qui veut guérir et vivre, et ensuite, une charge lourde car nous dépensons beaucoup pour chaque cas.
Cette sécurité sociale est un droit de tout être humain qui habite sur Terre. Mais à Madagascar c’est encore un privilège et malheureusement très rares sont ceux qui peuvent bénéficier de cette aide sociale pour guérir et vivre. Beaucoup de familles malagasy perdent tout leur avoir pour seulement financer les dépenses de santé de leur maman ou de leur papa. D’où l’urgence de créer une sécurité sociale minimale pour chaque citoyen de l’île.
Nous espérons que le nouveau gouvernement aille dans ce sens.
A tous les bienfaiteurs à travers le monde qui nous ont fait confiance et nous donnent leur aide annuelle, sachez qu’une grande partie de vos dons sert à aider ces familles qui ont un drame important, et qui tomberaient, sans cette aide, dans une extrême pauvreté sans retour, où ils ne pourraient plus se ressaisir.
Ainsi des malades de tous genres et âges.
Cela fait aussi partie du miracle d’Akamasoa.