Discours chez les capucins

Discours prononcé à Rome, en octobre 2015, lors d’une rencontre avec les frères mineurs capucins, de l’ordre des franciscains.

 
 

« Chers frères capucins,

 

C’est une grande joie pour moi, personnellement, d’être parmi vous, frères de Saint François d’Assise, membres d’une communauté née il y a 700 ans. Car j’ai toujours admiré Saint François comme le saint qui a voulu suivre l’Evangile jusqu’au bout, celui qui a pris sa conversion tellement au sérieux qu’il a renoncé à tout, aux biens, à la renommée de sa famille, à ses titres de noblesse, et qui a tout laissé pour suivre Jésus le frère des pauvres. Saint François qui était en plus si uni à la nature, à l’univers, à tout ce que Dieu a créé pour l’homme. Saint François qui a vécu avant Saint Vincent de Paul, un autre grand apôtre des pauvres de son temps.
 
Aujourd’hui vous m’invitez à partager mon expérience personnelle parmi les pauvres. J’ai accepté votre invitation avec une grande humilité, sachant que je ne vous apprendrai rien de nouveau de ce que vous savez déjà, rien que vous n’ayez déjà entendu ou lu dans un livre.
 
Mais je vais essayer de vous parler d’une expérience concrète dans un pays où je vis depuis 1970 et jusqu’à ce jour, ainsi que d’une aventure humaine entamée il y a 26 ans, à travers laquelle la divine Providence, à un moment où j’étais malade, m’a poussé vers les plus pauvres.

 

Durant 15 ans de travail dans le sud-est de Madagascar, j’ai voulu vivre l’Evangile et le Concile Vatican II au milieu des plus pauvres avec un enthousiasme sans limites : je venais d’être ordonné prêtre durant l’année sainte 1975 et tout de suite après je deviens le premier responsable de la paroisse de Vangaindrano qui comptait 5 000 baptisés.
 
Tout de suite j’ai dit à mes frères paroissiens : Cette mission, cette église, c’est votre maison. Vous venez quand vous voulez ; ici il n’y a pas d’heures ; on va aider et écouter chaque personne qui vient, tout le temps. Je me suis débarrassé de ma montre pendant 9 ans, et avec les plus pauvres de la mission de Vangaindrano, qui étaient des paysans, nous avons commencé à créer une fraternité évangélique entre nous, ce qui veut dire une amitié, une relation simple, profonde de service. Dès la prière du matin, à 5 heures, j’étais rejoint par des laïques qui priaient avec moi les laudes, et ensuite nous participions ensemble à l’Eucharistie, et puis venait le travail d’accueil, de visite des malades, mais surtout l’accueil.
 
Bientôt je me suis rendu compte qu’au milieu des plus pauvres on ne peut pas tenir debout sans un minimum de santé et de nourriture. J’ai vu pour la première fois des enfants avec la faim au ventre, et leurs parents pareillement. Des personnes qui buvaient de l’eau contaminée, qui étaient malades. Et pour la première fois je me suis confronté à la mort quotidienne des enfants, des mères et pères de familles.
 
Mes frères, face à ces drames s’est créée une carapace pour ne pas devenir fou, pour supporter toutes ces morts quotidiennes, cette mort devant laquelle les gens disaient : C’est la mort de Dieu, on ne peut rien faire. Combien de fois me suis-je révolté devant cette fatalité, devant un enfant ou une maman morts ? Et après avoir expliqué ma révolte devant cette mort injuste, je m’entendais répondre : Merci mon père de nous avoir réconfortés, mais c’était la volonté de Dieu que notre enfant meure.
 
J’ai vite compris qu’il fallait partager la vie totalement avec eux, toujours inspiré par l’Evangile et par l’exemple de Jésus. Nous étions 3, 4 prêtres à aller travailler dans les rizières, pour donner l’exemple que même en étant prêtres, notables de la ville, nous n’avions pas peur d’aller dans la boue et travailler dans les mêmes conditions qu’eux. Nous l’avons fait durant quelques années, et ensuite nous sommes tombés très malades. Nous avons eu la chance de pouvoir être soignés dans les hôpitaux ou quand nous partions en congé, mais combien de mes frères malgaches sont morts parce qu’ils n’avaient pas cette chance ?
 
Après 15 ans de vie dans cette mission parmi les paysans pauvres mais dignes entre lesquels régnaient encore la solidarité et le partage, affaibli par le palu et par tant de parasites qui me mangeaient de l’intérieur, après 15 ans donc, j’ai voulu demander une année sabbatique et partir de Madagascar en catimini, mais avec comme excuse l’année sabbatique. J’étais excédé de voir tant de gens martyrisés par tant de morts et de drames parmi les paysans les plus simples de Madagascar.
 
L’au revoir avec cette communauté fut une messe où à la fin je ne pouvais plus donner de bénédiction tellement j’avais la gorge serrée. Puis nous avons fait un repas de riz, de haricots et de viande, avec des personnes dont la moitié n’était pas des chrétiens. Nous avions crée entre les baptisés et ceux qui ne l’étaient pas, une amitié très profonde pour travailler ensemble aux progrès de la ville et des enfants.
 
Le lendemain matin, je suis parti très tôt, et d’un grand pont où l’on voit encore la ville, sur ce peuple qui m’a accueilli en ami et en frère pendant 15 ans, j’ai lancé ma dernière bénédiction.

 

Ma communauté m’a demandé d’accepter d’être directeur du Scolasticat de Saint Vincent de Paul à Tananarive. Par vœu d’obéissance j’ai dû retarder mon année sabbatique de 4 ans. Mais en acceptant la formation des futurs prêtres à Tananarive je ne savais pas qu’en même temps j’avais accepté une autre mission que la Providence m’avait réservée.
 
Une semaine après mon arrivée dans la capitale, je suis allé sur la décharge de la ville où une personne malade me demandait de la visiter. Je ne savais pas l’enfer que j’allais voir en visitant ces malades tout près de la décharge. En arrivant sur la décharge j’ai vu un millier d’enfants et de parents se disputer avec les chiens et les cochons les ordures déversées par les camions de la voirie. Dans ce même instant où j’ai vu cette image apocalyptique de la déchéance de l’être humain dans l’extrême pauvreté, je me suis dit : ici je n’ai pas le droit de parler, je dois agir. Le soir sur mon lit je me suis mis à genoux, j’ai demandé à Dieu de m’aider à faire quelque chose pour ces petits enfants et leurs familles. Je ne savais pas quoi précisément. Mais j’ai senti une force, sachant que Dieu n’abandonne jamais les plus pauvres des pauvres.
 
Le lendemain je suis revenu et j’ai demandé une réunion avec les représentants des pauvres. Une douzaine se sont réunis dans une case où je suis entré à 4 pattes derrière eux, sous un plafond de 1 mètre 30 de hauteur, et, assis par terre, je me suis présenté, leur disant que j’étais prêtre et que s’ils aimaient leurs enfants, nous pourrions faire quelque chose pour eux et pour qu’ils aient un avenir plus digne. Ils m’ont regardé comme un extra-terrestre, un de ceux qui leur avaient déjà promis le ciel sur terre, et que quelques jours après ils n’avaient plus revu. Par politesse ils ont accepté mes propositions de travailler ensemble et de créer dès le lendemain un lieu où nous donnerions du pain et du thé aux petits enfants.
 
J’ai compris tout de suite qu’à partir de ce jour il fallait rester avec eux, tout le temps avec eux, ne jamais plus les abandonner. Et j’ai fait appel à des jeunes que j’avais connus dans l’ancienne paroisse de Vangaindrano et qui étaient désormais des étudiants de l’université ; je les ai appelés et je leur ai dit : Vous souvenez-vous combien de fois nous avons réfléchi sur la responsabilité d’un citoyen et surtout d’un chrétien face à ses frères pauvres ? Nous avons eu de belles idées. Aujourd’hui je vous propose un engagement concret : voulez-vous me suivre sur une décharge pour s’occuper des plus pauvres de nos frères ? Une quinzaine d’étudiants m’ont dit : Mon père, on a y va, on te suit. Et depuis ce jour nous n’avons plus quitté la décharge.
 
Les téléphones sans fil marchaient déjà avant que le portable n’arrive à Madagascar. Les gens de la rue, qui dormaient au marché et sur les trottoirs, nous ont invités à les visiter aussi et dès lors nous allions, le soir venu, les rencontrer, les invitant à laisser les rues et les marchés pour venir dans une colline que nous avions rebaptisée « Colline du nouvel espoir », Manantenasoa. Plusieurs familles sont venues. Voilà le début de ce mouvement de solidarité et de fraternité, que nous avons appelé 9 mois plus tard, Akamasoa, « les bons amis ».

 

Mes frères les plus pauvres savaient que j’étais prêtre et m’ont demandé de baptiser leurs enfants. Je suis allé voir le cardinal d’Antananarivo, à qui j’avais déjà demandé tout au début la bénédiction pour commencer ce travail avec les plus pauvres, et cette fois-ci le cardinal m’a fait le cadeau de créer une paroisse personnelle pour les plus pauvres, pour les sans-abris, pour les gens de la décharge, c’est-à-dire que notre paroisse n’aurait pas de limite, mais tous ceux qui étaient dans la rue, exclus, seraient nos paroissiens.
 
Ainsi nous avons commencé à travailler, à construire nos propres logements, des routes, des écoles, des lieux de travail, des carrières de granit dont une est devenue notre cathédrale. Nous avons en effet creusé dans la pierre de la colline et nous avons extrait des milliers et des milliers de tonnes de granit qui étaient ensuite portées sur les têtes des femmes. Les hommes cassaient la pierre et les femmes sortaient les pierres de la carrière. Les cathédrales en Europe sortent de terre ; la cathédrale des pauvres d’Akamasoa s’est enfoncée dans la roche.
J’ai tout de suite compris que cet engagement avec les pauvres ne pouvait pas être à mi-temps mais à temps complet. Ces pauvres étaient abandonnés par tous, et j’ai eu la chance d’avoir trouvé ces jeunes laïcs qui voulaient aussi faire quelque chose de positif de leur vie dans un pays où tout avenir était bouché et où il n’y avait aucune issue. Alors servir les plus pauvres de leur peuple, c’était aussi pour eux donner un sens à leur propre vie. J’ai fait appel aux laïcs puisqu’ils étaient les plus libres, les plus disponibles et tout de suite prêts à mettre la main à la pâte, à servir les pauvres.
 
Là nous avons commencé une aventure humaine dont nous ne savions pas où elle nous mènerait, mais nous savions surtout que nous avions pris la bonne direction. Les gens de la décharge et les gens de la rue commençaient à s’apaiser, à devenir plus pacifiques ; les insultes, la violence, les bagarres, les vols commençaient à diminuer. Pour la première fois, les femmes osaient défendre leur dignité à haute voix dans une réunion communautaire.
Dans l’extrême pauvreté, la loi du plus fort régnait entre eux : le plus fort esclavageait le petit et la femme était le maillon faible, par conséquent la plus exploitée. Mais en créant des conventions avec le peuple de la décharge et de la rue, des règles votées ensemble, nous avons commencé à changer la mentalité des gens. Le respect entre les personnes commençait à devenir réalité. Le vol, l’insulte, la violence étaient désormais persécutés. Ainsi, durant une douzaine d’années, nous nous sommes battus corps et âme pour humaniser la décharge et les familles qui vivaient dans l’anarchie totale dans les rues de la capitale.
 
Nous avons aussi commencé à prier tous les dimanches, puisque pour les pauvres la prière de tous les jours c’était de travailler dans la carrière, mais le dimanche c’était la grande prière de tout le peuple d’Akamasoa. Au départ, notre église rassemblait 40 personnes. Aujourd’hui, 25 ans plus tard, nous sommes 8 000 personnes à prier tous les dimanches.

 

Chers frères, je dois vous dire que les pauvres m’ont évangélisé, ils m’ont appris à lire l’Evangile autrement. Auprès d’eux j’ai compris les paroles de Jésus d’une façon autre que lorsque j’étais dans ma communauté, bien protégé, rassasié, soigné, là où j’avais tout pour vivre et même plus.
J’ai compris aussi que pour aider les pauvres il faut imiter Jésus dans son humilité. Mais devenir humble n’est jamais facile. On veut toujours être plus fort que son frère, plus capable, plus astucieux, plus ingénieux. Sans le vouloir, dans nos communautés religieuses, s’installe à notre insu la compétitivité si moderne aujourd’hui dans le domaine de l’industrie et de l’économie. Je me suis rendu compte que nous n’avons pas assez de courage de vivre avec plus de simplicité, plus d’humilité, plus l’esprit de l’Evangile de Jésus ; ou bien nous l’avons fait pendant un certain temps, et ensuite, fatigués, déçus, malades, affaiblis, nous nous sommes dits : maintenant nous avons droit à améliorer notre vie.
 
Dans notre travail, nous avons beaucoup misé sur l’évangélisation, à enseigner une doctrine, à partager un message, un message de l’Evangile qui ne peut jamais être que parole, mais toujours Parole et Vie, Parole et Action, Parole et Fraternité, Parole et Amour, Parole et Pardon. Tout cela est facile à dire maintenant, mais Dieu seul sait, en 42 ans de présence continuelle, combien de fois j’ai eu l’impression de perdre la tête, de devenir fou, de sombrer dans la colère.
 
Je me souviens qu’à un moment donné tout près d’une grotte de la Sainte Famille que nous avons construite pour les familles d’Akamasoa, je me suis interpellé moi-même de la façon suivante : pourquoi te fâches-tu ? pourquoi te mets-tu en colère tout le temps ? pourquoi perds-tu les nerfs ? où veux-tu en arriver ? qui veux-tu aider avec tant de violence ? Sur le coup je me suis apaisé et j’ai trouvé plus de tranquillité, plus de paix dans mon cœur, et plus de force pour revenir vers les plus pauvres. Mais ce combat ne se fait pas en une seule fois dans la vie ; il se fait plusieurs fois par mois. C’est le combat entre l’amour et la colère, le pardon et la rancune, le pardon et la vengeance humaine.
 
Je me suis rendu compte que si je ne savais pas pardonner et oublier, je ne pourrais pas continuer ce travail  puisque le pont serait coupé avec les plus pauvres. Or c’est moi qui suis venu chez eux. C’est donc à moi de reconstruire continuellement le pont, l’entente, l’amitié, la fraternité, pour pouvoir continuer à parler et à dialoguer avec eux.
 
Beaucoup de gens qui passaient à Akamasoa me demandaient : Pourquoi être venu à Madagascar si en Amérique il y a aussi des pauvres ? Mais j’ai compris que les pauvres d’Amérique latine, de Madagascar ou d’Afrique ne sont pas du tout exotiques ; ils ne sont pas des êtres humains sans défauts. La vie les a façonnés dans la violence, le mensonge, le chacun pour soi, afin de pouvoir survivre. Personnellement je ne suis pas allé en Afrique chercher un pauvre amadoué, gentil, aimable, fraternel, obéissant. Ce pauvre là n’existe nulle part. Chaque être humain, il est difficile de lui changer sa mentalité, son attitude et son esprit, aussi bien le riche que le pauvre. Le pauvre a un seul avantage, c’est qu’il n’est pas attaché aux richesses qu’il n’a pas. Et en fin de compte il va peut-être davantage sortir de son monde fermé de fatalité où la misère l’a mis.
 
Chers frères, nous prenons la force dans l’Evangile, dans la Parole de Jésus, dans la Parole de Dieu et dans l’Eucharistie, dans le Sacrement que l’Eglise nous a donné. Mais nous devons nous demander pourquoi nous sommes devenus si froids, si indifférents à recevoir ces sacrements qui sont la vie de Dieu. Ces sacrements qui devaient être la source de notre vie et de notre joie de suivre Jésus, sont souvent devenus des structures froides, impersonnelles et inamovibles. Pourtant c’est à travers ces sacrements que la grâce de Dieu, la vie de Dieu devraient passer dans nos corps, esprit et intelligence.
 
Combien d’eucharisties ai-je vu qui n’étaient que des célébrations automatiques, sans états d’âme, où l’on chante, on lit, on prêche, mais le cœur n’y est pas, l’esprit de Jésus n’y est pas, bien que Jésus soit au milieu de nous, puisqu’il a dit : là où 2 ou 3 se réunissent en mon nom je suis au milieu d’eux.
 
J’ai compris que la liturgie parmi les plus pauvres, ce sont les pauvres eux-mêmes qui devraient y participer corps et pâmes, surtout en Afrique où les gens aiment tellement s’exprimer, danser, chanter. La liturgie ne peut pas se dicter, s’ordonner d’un haut lieu et être catapultée dans les pays de langue, de culture et de civilisation différents.

 

Chers frères, je pense que vous avez un saint qui est un des plus grands saints de l’histoire de l’Eglise et de l’Humanité, par son ouverture, par son dévouement total à l’amour de Dieu et du Christ, à suivre le Christ dans les pauvres. Malgré tous nos progrès techniques et scientifiques, l’humilité et la simplicité de Jésus et de Saint François d’Assise seront toujours un défi pour toutes les générations de tous les temps. Seule l’humilité, seules la simplicité et la disponibilité à tout accepter et à transformer peuvent recevoir l’amour et la grâce de Dieu.
 
Chers frères, il n’y a aucun slogan ni formule toute faite qui peuvent résoudre tous nos problèmes d’union, de fraternité et de partage. C’est seulement un état d’âme et d’esprit, qui nous permet de comprendre de l’intérieur les béatitudes de Jésus et la prière de Jésus, le Notre Père. Et c’est seulement celui qui plonge dans le monde de la pauvreté humaine, de la misère et du drame humains, qui peut vivre par certains moments, la force du mystère de la résurrection du Christ.
 
Vivre aujourd’hui notre engagement pour les pauvres, pour nos frères les hommes, par l’Evangile, à travers nos fondateurs, c’est possible seulement quand nous entrons dans ce mystère de la joie de la résurrection du Christ. Quand nous vivons déjà maintenant en êtres ressuscités, c’est à ce seul moment qu’une lumière indicible nous envahit, nous réjouit et nous met en route nécessairement vers ce royaume dont Jésus a parlé il y a 2 000 ans.
On voit, on touche, on sent les semences de ce royaume qui surgissent et grandissent un peu partout mais que nous ne pouvons jamais décrire, transposer, apprivoiser ou contrôler à notre guise. Car ce royaume sera toujours un état d’esprit et c’est devant cet état d’esprit que toutes les structures que nous avons créées en 2 000 ans casseront les unes après les autres. Parce que nous n’avons plus besoin de la loi, mais que nous sommes entrés dans le cœur de la loi, nous y avons trouvé l’amour de Dieu et quand nous avons trouvé cet amour de Dieu, nous pouvons vivre comme Jésus, comme Saint François, sans aucun garde fou.
 
Mais puisque nous ne vivons jamais tout seuls mais en communauté, nous avons toujours besoin de règles et de conventions, mais ces conventions et ces règles doivent toujours être prises dans l’esprit de Dieu, dans l’esprit où elles ont été créées, afin de renforcer l’union et la grâce de Dieu, et nous donner plus de liberté. Et chaque fois que nous transgressons une règle pour l’amour du plus pauvre de nos frères, nous sommes toujours dans la mouvance de l’Evangile où cette règle a été créée.
 
Jésus lui-même n’a jamais donné aucune consigne, aucune loi, sauf un commandement : Aimez-vous les uns les autres comme moi je vous ai aimés. Et il a ajouté : Aimer, c’est donner sa vie pour celui qu’on aime. Avec ce commandement nouveau qui a fait éclater tout l’Ancien Testament et qui nous a ouvert le ciel comme horizon, Jésus nous a montré le seul chemin qui amène tous les êtres humains vers Dieu créateur, vers Dieu d’Amour.
 
C’est vrai, cela peut sembler utopiste, un idéal inaccessible, c’est tout à fait vrai, mais en vivant dans cet état d’esprit, nous pouvons, de temps en temps, sortir du carcan qui nous opprime : l’égoïsme, les honneurs, le pouvoir, et à ce moment là, quand nous vivons cet état d’esprit avec la force de l’esprit du Christ au milieu des plus pauvres, nous savons que nous avons pris la bonne direction. Et ces moments de joie intense sont assez forts pour nous donner la force de traverser les moments, de chagrin, de difficulté, de drame, de tristesse profonde, et de déception. Ce sont ces moments lumineux qui nous donnent la force de dire : oui, ça vaut toujours la peine de vivre l’engagement au milieu des plus pauvres avec Jésus notre frère et avec nos saints fondateurs qui nous ont montré le chemin.

 

Vous devez, chers frères, vous confronter au nouveau défi de la vie moderne, mais vous devez aussi vous adapter au monde moderne, sans perdre notre amour, notre humilité et notre simplicité qui sont les pierres angulaires de l’Evangile et de la parole de Dieu. Et nous pourrons toujours, dans n’importe quel pays de la terre, éveiller l’envie de quelques jeunes à suivre ce chemin de salut, de fraternité et de liberté dont Jésus nous a donné l’exemple. N’oublions pas non plus qu’il nous a dit que le maître n’est pas plus grand que le serviteur, et que tout ce qui arrivera au maître arrivera aussi au serviteur.
 
Alors, avec les pieds sur terre, continuons de créer des communautés religieuses qui soient de vraies fraternités et de vrais oasis où tous ceux qui viennent puissent se sentir frères et parties d’une même famille humaine. Comment faire cela ? Comment le réaliser concrètement ? Chacun de nous et ensemble nous demanderons à l’Esprit Saint de nous aider à vivre concrètement cette grâce qui nous a été donnée gratuitement pour servir nos frères et sœurs les plus pauvres, là où nous vivons et travaillons.«