Photos du Samedi Saint 2016
Voici les photos de samedi saint à Akamasoa. Force, joie et courage dans nos coeurs !
Voici les photos de samedi saint à Akamasoa. Force, joie et courage dans nos coeurs !
Fête de Pâques 2016
En ce dimanche 27 mars 2016, nous célébrons la fête de Pâques, et nous vous souhaitons à tous et à chacun, chers frères et sœurs de bonne volonté à travers le monde, Joyeuses fêtes Pâques ! Que la joie de la résurrection et du triomphe du bien sur le mal, de la vie sur la mort, de l’amour sur la haine et de la paix sur la guerre, puisse régner dans le cœur de chaque être humain sur terre !
Chaque année, pour tout le peuple d’Akamasoa, ces fêtes de Pâques sont le moment de se réunir une nouvelle fois ensemble et en grand nombre, de se recueillir sur ce qui est le fondement de notre foi et de se réjouir aussi, puisque par sa résurrection, nous savons que Jésus nous a sauvés.
Depuis le début du Carême, chaque vendredi de chaque semaine, les habitants de nos différents villages organisaient un chemin de croix. Les personnes d’Akamasoa se réunissaient en fin d’après midi et retraversaient les 14 stations de la passion du Christ, en priant, récitant, chantant. Une façon de peu à peu intérioriser et comprendre ce qui fait notre foi.
Cette semaine Sainte, qui clôt le Carême, s’est déroulée en plusieurs moments.
Jeudi
C’était le moment de l’institution de l’Eucharistie, comme nourriture spirituelle, pain de vie, qui est indissoluble du service, parce que Jésus a continué par le lavement des pieds de ses disciples, pour bien montrer que celui qui veut être le premier doit être le serviteur de ses frères, renversant ainsi la logique habituelle des hommes.
Cette messe du soir fut cette année d’une grande force. On sentait l’attention et le recueillement des personnes pour écouter la parole de Dieu, en recevoir la force et l’amour. Mais ce ne fut pas tout ! Un événement a secoué toute l’église et les milliers de personnes qui priaient …
Car soudain, vers 19h30, alors que la célébration touchait à sa fin, un énorme orage a éclaté, ce qui est fréquent ici, et cette année la période des pluies semble s’être un peu décalée, puisqu’ après le calme des derniers mois, la pluie tombe dure et forte chaque soir.
Mais ce fut ce soir là un tonnerre venu de nulle part, qui a fait trembler le toit de l’église pendant plusieurs secondes…
La foudre est tombée sur le toit de l’église, ce qui a provoqué un craquement assourdissement, qui a plongé toute la foule dans l’obscurité et un silence étonnant. Le danger était bien là , car le toit et toute la charpente de notre église sont en fer… Et la foudre a tapé sur un côté du toit, et certains l’ont vu rentrer dans la structure métallique et la traverser de part en part, d’un côté à l’autre, grillant instantanément les deux lampes qui se faisaient face au milieu de l’église ! C’était très dangereux, et les disjoncteurs ont sauté bien sûr !
Toutes les lumières se sont éteintes, les gens sont restés pétrifiés, plongés dans l’obscurité totale par la coupure de courant. Et pourtant, aucun cri de désespoir, ou de peur. Au contraire, petit à petit les gens ont allumé leurs lampes de poche et les jeunes de Manantenasoa ont entamé un chant pour tranquilliser la foule, ce qui nous a donné à tous un air de ressuscité, après avoir passé un moment terrible… La dangerosité de la foudre en effet aurait pu brûler ou blesser à mort des enfants, mais par miracle personne n’a été touché.
Et ce chant des enfants qui a succédé à la foudre, a redonné la paix à tout le peuple d’Akamasoa, qui a continué la prière et la procession avec le saint sacrement, avec les seules lampes de poche pour lumière. C’était en effet la fin de la messe, et le moment du recueillement à l’approche de la résurrection de Jésus. Pratiquement tout le peuple était à genoux pour célébrer ce mystère, dans l’obscurité, avec la pluie qui s’était mise à tomber très fort sur la colline de Manantenasoa.
Cela a donné une dimension supplémentaire à ce jeudi saint, où Jésus, priant à Gethsémani, est entré en combat contre les ténèbres. Ce combat, nous l’avons revécu d’une certaine façon, à Akamasoa, avec ces ténèbres qui nous sont tombées dessus. Mais c’est la présence de Dieu qui a été la plus forte, plus forte que ce phénomène naturel qui nous a surpris d’une façon tellement imprévue.
Sans aucun doute, cet événement restera dans les mémoires de tous ceux qui l’ont vécu !
Vendredi.
Vendredi saint, nous avons fait un grand chemin de croix dans notre village de Manantenasoa, sur la colline. Partis du cimetière dans le quartier de Mangarivotra, nous avons cheminé, lentement et dans le recueillement, tout autour de la colline, passant près du Centre d’Accueil, au-dessus de la grotte, sur la pointe de Bemasoandro, puis revenant par les quartiers de Lovasoa et Mahatazana, avant de rentrer à l’église, et de célébrer la messe.
Ce chemin de croix est toujours empreint de beaucoup d’émotion, en raison de la foule d’abord, qui grossit peu à peu à mesure qu’on traverse les quartiers : on voit des familles qui rejoignent la longue cohorte de ceux qui prient déjà , et se mettent à chanter avec elles.
C’est le père qui conduit la première station du cimetière jusqu’au centre d’accueil, et la dernière, à la montée de Macolline : qui conduit, c’est-à -dire qui porte la croix, comme le Christ, avec l’espérance que ce lieu de souffrance puisque continuellement changer en un lieu de paix, de fraternité et de partage.
Entre les deux, des hommes portent des croix, s’agenouillent à chaque station, prient, et chantent bien sûr, chantent toujours, avec ces chants malagasy qui viennent de loin, et parlent de l’amour de Dieu, de la souffrance, de la vie et de la joie. On ne peut pas rester sans émotion lorsqu’on entend ces voix qui viennent du cœur, très sûres car elles sont habituées à chanter, ces voix de tout un peuple uni qui trouve sa beauté, non dans les œuvres d’art comme les occidentaux, mais dans un art non écrit, d’être ensemble et de prier.
Car c’est un peuple qui est réuni pour prier, et cela fait sa beauté : recueillement, cheminement de tous ensemble, arrêts, reprise du mouvement, avec des chants toujours. Tout un peuple, le peuple d’Akamasoa, que la dureté de l’existence quotidienne réunit, et qui trouve dans son lien avec Dieu une force pour aller de l’avant, continuer, se battre, et dans Jésus Christ un appui, un réconfort, un amour dont l’exigence est désormais fortement rappelée par le pape François, en cette année de la miséricorde de Dieu.
Quand nous passons autour du marché de Macolline, les vendeurs ferment leurs boutiques, et se mettent au bord de la foule, formant une haie silencieuse, très respectueuse, et on voyait leur participation et leur désir de faire partie de ce peuple qui veut être libre, qui veut surmonter le mal, et vivre en fraternité.
Après avoir marché ensemble pendant plus de 2 heures, car nous rentrons à l’église, pour célébrer la messe.
Le peuple d’Akamasoa ne se fatigue pas de prier et de chanter. Il y a là des petits enfants, des autres un peu plus grands, des adolescents, des adultes et des vieillards, hommes, femmes, filles et garçons qui s’asseyent comme ils en ont l’habitude chaque dimanche, par milliers sur les gradins du stade couvert qui est notre église de Manantenasoa.
Ce stade que nous devons sans cesse agrandir ! Car la foule de ceux qui prient augmente chaque semaine ; et quelques mois après des travaux réalisés sur la toiture, nous construisons en ce moment des rangées de gradins supplémentaires, en briques enduites de ciment, afin de pouvoir accueillir quelques 700 personnes en plus des 7 ou 8000 « places » que la structure actuelle offre !
Samedi.
Samedi Saint, c’est la bénédiction du feu, et toute l’église est alors remplie de bougies, manifestant le feu nouveau de la vigile de Pâques. Toutes ces lumières illuminent l’obscurité où l’humanité est tombée à cause de l’égoïsme, du manque d’amour, de partage et de paix. Tant de bougies tenues par tout un peuple dans la nuit, créent un éclat de lumière extraordinaire, un élan de générosité et d’espérance pour chacun.
Nous avons ensuite baptisé 53 adultes, des hommes et femmes déjà adultes et mariés. Un baptême de ce genre, avec des hommes et des femmes qui ont déjà vécu, qui sont déjà affaiblies par la vie et maladie, cela bouleverse au fond du cœur. Car ces personnes sont là , ce ne sont plus des enfants, elles se tiennent debout et demandent à être baptisées, car elles croient en Jésus Christ et en sa résurrection.
Il est impossible de décrire ce moment, très fort à la fois pour ces personnes, mais aussi pour nous, puisque nous le vivons ensemble comme Eglise.
Dimanche de Pâques.
La messe de la résurrection, toujours dans cette église pleine de frères d’Akamasoa, mais aussi de frères touristes de plusieurs pays, de plusieurs nations, nous l’avons célébrée dans une grande simplicité, mais aussi avec une grande ferveur et une grande joie. Une fois encore, c’est un événement qu’on ne peut expliquer, mais qu’on peut simplement vivre et sentir dans son cœur.
Nous avons béni 49 mariages de couples qui ont déjà eu jusqu’à 20 ans de vie commune, et tous leurs enfants étaient présents ; en même temps, ces couples ont reçu la première communion.
Grâce à Dieu, nous avons vécu une fête de Pâques d’une grande joie, d’une grande ferveur et d’une grande intensité, et nous voulons dire merci à tous ceux qui ont participé pour que cette fête soit vraiment une fête ! Dieu ne nous oblige jamais, mais nous invite seulement, et c’est ce que nous avons fait, nous avons fêté et célébré le mystère de l’Eucharistie !
Puisse l’amour et la paix de Dieu transfigurer notre monde d’hostilité, de violence et de guerre. Que cela puisse cesser un jour, et que chacun sache que cela ne dépend que de lui, de chaque personne là où elle vit, là où elle travaille, là où elle aime ses frères et ses sœurs.
Vendredi 11 mars, nous avons reçu la visite des équipes de Mayotte et de la Réunion, qui  ont pour habitude de venir à Madagascar tous les ans, pour un tournoi qui regroupe les îles de l’Océan Indien : Madagascar, Mayotte, Maurice, les Comores, les Seychelles et la Réunion.
Cette année, nous n’avons pas pu recevoir les matchs préliminaires à Akamasoa, puisque nous sommes en train d’améliorer l’herbe de notre terrain d’Andralanitra. Mais ayant gardé un souvenir tellement beau de l’année précédente, les joueurs de la Réunion et de Mayotte sont revenus nous visiter et nous amener quelques dons pour les jeunes d’Akamasoa.
Nous les avons accompagnés un peu dans nos villages d’Andralanitra et de Manantenasoa, et ils furent très surpris par la grandeur de l’œuvre d’Akamasoa, par la propreté aussi de toutes les rues et des quartiers.
Ils ont vu le travail des carrières, et se montrés très admiratifs devant ce cratère que les ouvriers et ouvrières ont réalisé durant 27 ans.
Nous sommes passés au Centre Accueil, où les responsables leur ont expliqués que l’année dernière plus de 43 000 personnes sont passés par ce centre, ce qui les a une nouvelle fois surpris, la quantité de personnes pauvres qui frappent à notre porte tous les jours.
Nous avons senti que les jeunes sportifs de la Réunion et de Mayotte étaient émus et vite conquis par les enfants d’Akamasoa, leur gentillesse, leurs sourires
On les a vus repartir très heureux de cette rencontre avec le peuple d’Akamasoa.
Comme quoi le sport et l’humanitaire peuvent se donner la main pour un monde meilleur.
A Akamasoa comme tous les ans nous avons célébré cette journée dans la simplicité et la joie !
Les femmes de Manantenasoa et Andralanitra ont nettoyé la Ville et ensuite vers 10 heures nous avons fait une manifestation où les femmes ont pris la parole et encouragé leurs compagnes à continuer de lutter pour leurs droits, leur dignité, leur égalité avec les hommes et contre le sexisme !
Le courage des femmes malagasy est légendaire !
Elles ont une force incroyable pour vaincre tous les problèmes, les difficultés et surtout les drames quotidiens auxquels doivent faire face tous les jours !
Le premier de ces drames, c’est de trouver comment faire vivre leur famille, leurs enfants, comment leur procurer une vie digne et normale, quand elle n’ont pas un travail rémunéré comme il faut, quand l’argent n’est pas suffisant dans leur foyer!
On peut être surpris de l’imagination et de la débrouillardise de ces femmes malagasy quand il s’agit de faire survivre leurs familles !
Elles aussi, comme dans tant de pays à travers le monde, se rendent comptent qu’elles sont souvent des objets dans les mains d’hommes sans scrupules ! La femme est toujours victime de l’ exploitation et de l’exclusion.
La pauvreté a un visage de femme en Afrique et Madagascar ! C’est la femme qui la première subit toutes les conséquences néfastes de la politique pleine de corruption, du manque du travail, de manque de sécurité !
Elles sont en première ligne chaque fois qu’une guerre éclate ! Ce sont elles qui doivent tout chercher pour faire manger sa progéniture.
Comment elles arrivent à le faire, seul Dieu le sait ! Avec un rien elles créent tant de choses qu’on en reste émerveillé!
Malgré tant de souffrance, de douleur et privations, ces femmes restent debout, fières avec un visage plein de rides, mais quelle dignité !
Je n’hésite jamais à appeler ces femmes courageuses, des Dames avec une majuscule, qui n’ont peur de rien pour sauver leurs enfants ! Elles devraient être davantage tenues en compte dans tous les pays ! Elles devraient avoir plus de responsabilités dans les décisions de la vie du pays et de la Nation !
On peut penser qu’avec plus de femmes dans les postes à responsabilité, il y aurait moins de guerres, de corruption, d’instabilité et surtout plus de paix !
Car la femme est plus responsable, elle sait prévoir et penser le futur, ce qu’on va manger ce soir !
Le futur de beaucoup de femmes pauvres, c’est ce soir et demain c’est encore loin !
Les femmes d’Afrique et de Madagascar peuvent être un exemple pour beaucoup dans ce monde ! Elles ne se vantent pas, elles sont simplement elles mêmes et font ce qui est bien pour le bien de tous, le bien public et communautaire ! Elles pensent davantage aux autres qu’à soi même !
Elles sont sobres à un tel point qu’on se demande, si on peut vivre comme elles le font avec si peu de choses. Car elles ne dépensent que quelques centimes par jour pour vivre ! Ce courage et cette bravoure qu’elles ont est un exemple pour leurs enfants et ce sont elles qui maintiennent l’espérance vive dans La famille et La Nation !
Voilà tout ce que j’ai dit à ces femmes ce matin, jour international de leur fête.
Puis je les ai encouragées à continuer ce combat qu’elles mènent avec tant de force et de persévérance depuis de dizaines d’années ! Je leur ai dit que pour ma part je m’engage à aller toujours jusqu’au bout du monde pour chercher justice pour elles, afin qu’elles aient un travail pour faire vivre leur famille !
Je les ai invitées à croire en elles-mêmes et à se défendre pour que leurs droits ne soient pas bafoués, puisque ces droits ne sont pas un privilège donné par les hommes; leur droits et leur dignité sont sacrés, parce que c’est le Créateur qui l’a voulu ainsi !
A nous tous ensuite, hommes et femmes de savoir nous respecter, nous entraider avec nos talents et nos richesses particulières que chacun a dans son genre !
Toutes ces différences sont une richesse et jamais un obstacle pour avancer et progresser dans la voie du respect et de l’estime réciproque !
Nous aurons encore longtemps à lutter pour que l’égalité et la parité entre les sexes soient une réalité et que les droits de toutes les femmes sans exception soient respectés par tous !
Aujourd’hui nous avons vécu une belle journée avec plus de 2.500 femmes Akamasoa, qui ont manifesté encore plus de ferveur à continuer de relever la tète, et de se faire respecter par les hommes et la société !
Rien n’est impossible pour celui qui croit à l’Amour qui peut tout transformer, tout renouveler et tout pardonner, pour recommencer un nouveau chemin de dignité, de liberté, d’égalité et de progrès !
Voici quelques photos qui peuvent traduire l’ambiance de cette journée de La femme à Akamasoa !
Père Pedro
Voici un entretien du père Pedro avec l’écrivain et journaliste Bertrand Révillion dans le numéro de décembre 2015 de la revue Prier.
Il voulait être prêtre et missionnaire. L’Argentin d’origine slovène, né en 1948, est arrivé à Madagascar il y a bientôt 40 ans. En 1989, il découvre l’immense décharge de Tananarive et fonde l’association « Akamasoa » qui construit écoles, villages, dispensaires, sauvant des milliers d’enfants des ravages d’une pauvreté endémique.
– Bertrand Révillion : En septembre 1975, en Argentine, à la fin de la messe de votre ordination, vous avez dit : « Je suis prêtre à la suite de Jésus et je veux donner ma vie aux plus pauvres ». D’où vous est venue cette double vocation, être prêtre et vivre aux côtés des plus démunis ?
– Père Pedro : Ma vocation s’enracine d’abord dans ma famille où la foi n’était vraiment pas quelque chose de superficiel : la foi était notre vie ! Je suis originaire d’une famille Slovène qui a fui le communisme engloutissant, après la guerre, l’ex-Yougoslavie sous une chape de plomb. Mon père, maçon et ma mère, paysanne, ont tout laissé : leurs biens, leur maison, leur terre, pour pouvoir continuer de croire, de vivre, sans être pourchassés et persécutés, leur attachement au Christ. A l’époque, Tito « nettoyait » tous les opposants et mon père a failli être fusillé. Il a prié la sainte famille et a réussi à s’échapper à quelques pas du cratère d’une vieille mine que les miliciens avaient transformé en charnier. Il fut le seul survivant… Après un mois à se cacher dans la forêt, il a réussi à passer en Italie, accueilli dans un camp de la croix rouge internationale… où il a rencontré celle qui allait devenir sa femme ! Ils se sont mariés en Italie avant d’émigrer en Argentine où je suis né, en 1948, à San Martin, dans la banlieue de Buenos Aires.
– La foi a baigné votre enfance…
– Jésus était « naturellement » présent dans notre vie. Nous récitions chaque jour la prière le matin et le soir. Nous demandions la bénédiction de Dieu lorsque nous quittions la maison. Une foi toute simple, forte, très humaine… A 15 ans, je me suis mis à lire les Évangiles et j’ai découvert à quel point Jésus était l’ami des pauvres et des petits. J’ai été totalement séduit et je me suis dit : « Cet homme-là , je veux l’imiter ! » Mon désir d’être prêtre est né ainsi.
– Un prêtre « missionnaire ».
– Oui, dès mes premières années de séminaire, j’ai voulu « partir au loin », rejoindre, en Afrique ou en Asie, les plus pauvres parmi les pauvres. Je me disais que l’Église d’Argentine pouvait se passer d’un prêtre de plus, qu’il y avait, ailleurs, sur la planète, des appels urgents. Un jour, cet appel est venu de Madagascar. Je n’étais pas encore ordonné. Mes supérieurs m’ont permis une première insertion de deux ans là -bas. Je suis parti sans hésiter une seconde !
– Votre choix de devenir prêtre, votre formation se sont faites dans le sillage immédiat du Concile Vatican II…
– Ce très grand moment de l’histoire de notre Église a été très déterminant pour moi et a renforcé, nourri ma vocation. Je buvais littéralement « Lumen Gentium », « Gaudium et Spes », tous ces grands textes conciliaires qui ouvraient enfin l’Église sur le monde ! Je nageais dans la joie d’appartenir à une Église qui se voulait, non pas suspicieusement « au-dessus » du peuple, mais au cÅ“ur de la vie des hommes et des femmes de son temps. Au plus près des réalités humaines, attentive aux blessures et aux souffrances de l’homme. Chaque samedi, je quittais les murs de mon noviciat, pour me rendre dans un bidonville proche de la ville argentine où je me trouvais alors. Les gens m’accueillaient avec bonheur, j’entrais chez eux, je découvrais un peu leur vie si difficile. J’avais le sentiment de vivre l’Évangile et les Béatitudes en acte ! Alors, oui, c’est vrai, à la fin de la messe de mon ordination, j’ai dit à la foule : « Je demande à Dieu la grâce de ne jamais trahir la cause des pauvres ! »
– Racontez-moi vos premiers pas de prêtre à Madagascar.
– Quand vous arrivez là -bas et que vous êtes prêtre, vous êtes perçu comme un notable. On vous met à part dans un presbytère confortable, avec tous les honneurs dus à votre rang ! J’ai refusé. Moi l’enfant du peuple, le fils d’ouvrier, je voulais vivre à côté avec les gens les plus simples et les plus pauvres. J’ai été nommé dans une petite mission, en pleine brousse, à plusieurs centaines de kilomètres de Tananarive.
– Et là , vous vivez un accueil pour le moins mitigé !
– Un jour, j’arrive dans un village et je vais saluer les enfants… qui se mettent à pleurer. Leurs parents me regardent d’un Å“il méfiant. Puis tout le monde va se cacher et je reste seul, comme un imbécile ! Je venais en frère sans me rendre compte que, moi le prêtre blanc, je débarquais chez eux sans y avoir été invité, sans avoir pris le temps de l’apprivoisement mutuel. J’ai pris, ce jour-là , une sacrée claque dans la figure !
– Vous découvrez l’art nécessaire de la patience !
– Oui, ne pas aller trop vite, entrer dans la culture malgache, apprendre la langue, travailler de mes mains avec eux – la maçonnerie comme mon père me l’avait apprise ! -, s’insérer avec humilité. Un gros travail sur soi, car la patience n’est sans doute pas, comme pour beaucoup d’Argentin, le trait premier de mon caractère ! J’ai pris alors un bréviaire malgache et me suis mis à prier, chaque jour, les psaumes, au début sans rien y comprendre et jusqu’à ce que cette langue m’entre enfin dans le crâne et dans le cÅ“ur. Accepter aussi de me laisser secouer, blesser par une vie si différente que celle que j’avais connue. Une existence souvent marquée par la mort, celle des enfants en bas âge, celle de leurs parents aussi, touchés par la malnutrition, le paludisme, la dysenterie… Dans les années 70, l’espérance de vie à Madagascar était de 42 ans ! J’ai peu à peu découvert comment habiter cette formidable mission du prêtre : rassembler, pardonner, bénir au nom de Dieu et surtout partager le quotidien souvent terriblement difficile de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants. Se laisser évangéliser par eux, par leur incroyable énergie, leur courage, leur espérance…
– Après quinze ans dans votre Mission en pleine brousse malgache, vous êtes épuisé…
– Terrible passage à vide. J’avais brûlé toute mon énergie et les pauvres étaient encore pauvres, les enfants encore malades. Moi-même, j’avais contracté des infections, j’étais à bout de force, tentant, malgré tout, de faire bonne figure. Ma prière était devenue un champ désertique. J’étais révolté contre l’indifférence des politiciens, profondément choqué par le peu d’engagement concret de mon Église contre la misère. Le feu de l’Évangile devait combattre la pauvreté mais il restait si souvent enfermé dans le confort de nos Églises et de nos sacristies, cantonné à un joli message doucereux ! Où donc entendait-on le vigoureux « Lève-toi et marche » du Christ ?
– Avez-vous douté de votre vocation ?
– Non, jamais. J’ai continué à prier sans plus ressentir les fruits de ma prière. Mais je m’y suis tenu, malgré la nuit. J’ai continué de rassembler la communauté, de chanter avec elle, de vivre avec les pauvres. Leur écoute, les moments partagés avec eux furent, souvent, ma seule prière. Depuis 15 ans, le nombre des pauvres avait énormément augmenté à Madagascar. J’étais venu apporter l’espérance de Dieu et nous étions face à un mur. Un profond sentiment d’échec. J’ai voulu quitter le pays, renoncer à être missionnaire. Je crois que seul Dieu sait qu’elle fut alors mon désespoir et ma révolte.
– Un Dieu qui ne vous a pas laissé tomber…
– Un Dieu qui, au travers du visage du Christ, m’a rappelé son extrême humilité, sa venue si humble et pauvre, à Noël. Tout le contraire d’un Dieu tout puissant et triomphant. Un Dieu fragile, dont la plus grande force est justement sa propre fragilité ! Soucieux de mon état de santé assez délabré – et après un passage dans le service des maladies infectieuses et tropicales d’un grand hôpital parisien – mes supérieurs m’ont rappelé à Antanarivo (Tananarive), me demandant de m’occuper de la formation des séminaristes lazaristes. J’ai accepté, mais, franchement, cela ne me faisait pas danser de joie : je n’étais pas devenu missionnaire pour m’enfermer dans un séminaire ! Un jour, par hasard, mes pas m’ont mené dans une gigantesque décharge d’ordures. Un lieu infecte, puant, l ‘enfer sur terre… Des enfants fouillaient les immondices pour trouver de quoi survivre. J’ai reçu un gigantesque électrochoc. Je suis resté muet. « Ici, il ne faut pas parler, il faut agir. Vite ! » En rentrant, j’ai raconté ce que j’avais vu à mes frères séminaristes. Je leur ai dit : « Les études, la théologie, la philosophie, c’est important. Mais vous ne pouvez pas mettre l’amour des pauvres entre parenthèse pendant les 7 ans de votre formation. Agissons ! » J’ai aussi sollicité un groupe d’universitaires que je connaissais. Le soir, incapable de dormir, je me suis mis à genoux sur mon lit, j’ai levé les bras et j’ai dit : « Seigneur, je n’ai pas de relations influentes, pas d’argent, pas de formation spécifique… Aide moi à aider ces enfants et leur famille. »
– L’aventure « Akamasoa », « Les bons amis » en Malgache venait de débuter !
– J’allais voir les familles chaque jour sur la décharge ; des familles écrasées par l’invraisemblable taux de mortalité de leurs enfants. Je leur ai dit : « ensemble, on va sauver vos enfants ! » Les premiers temps, nous venions, avec mes amis et frères du séminaire, les bras chargés d’un simple goûter, un peu de pain, du lait. Puis, nous nous sommes mis à chanter. Puis nous avons proposé d’apprendre aux enfants à lire et à écrire… Pas à pas, jour après jour, nous avons relevé l’impossible défi. Voilà comme sont nées nos écoles qui, à l’heure où je vous parle, accueillent quelques 12.000 enfants répartis dans 18 « villages » et une « ville » de 25.000 habitants que nous avons bâtie aux abords de la décharge. L’enfer a un peu cédé la place à l’espérance…
– Votre prière a retrouvé le sens de la louange ?
– Oui, mais une louange souvent rappeuse qui n’oublie pas le cri des pauvres, qui continue, comme les psaumes, à se révolter. Tant d’enfants ne devraient pas mourir pour une simple fièvre, une diarrhée… Mais je rends grâce aussi parce ce sont les pauvres qui m’ont sauvé, qui m’ont relevé, remis sur mon chemin de missionnaire de l’amour. J’ai pu vérifier la profonde vérité de la phrase de saint Paul : « C’est lorsque je suis faible, que je suis fort ». Il aura fallu que je touche le fond de ma propre fragilité pour que j’entende enfin ce que Dieu attendait de moi. Et que je retrouve la force de me battre aux côtés de ces enfants et de ces familles. Sans aucun moyen au départ, nous avons bâti, éduqué, formé une communauté et, ensemble, nous avons trouvé la force de déplacer la montagne d’indifférence ! Et quelle immense joie d’entendre aujourd’hui un pape – argentin ! – nous appeler à aller vers toutes les « périphéries » de la misère ! « Allez, là où plus personne ne va. Allez, là où des femmes et des hommes, perdent le sens de la vie. » Oui, une prière qui ne mène pas à l’action est stérile. À quoi bon s’agenouiller devant le saint Sacrement si nous ne nous agenouillons pas aussi devant notre frère et notre sÅ“ur qui souffrent ! La meilleure façon de parler de Dieu, c’est d’agir en son nom aux côtés des pauvres. Écoutons et mettons enfin en pratique les paroles de feu du Magnificat : « Il élève les humbles, comble de bien les affamés, renvoie les riches les mains vides ».
– Noël qui approche…
– Une joie immense ! Noël, c’est Dieu qui vient habiter nos pauvretés pour mieux les relever. À commencer par la pauvreté, le dénuement, la fragilité des enfants. Noël, c’est la grande fête de la fraternité humaine, le temps de l’urgence à donner, à se donner, à partager. Dans nos rues, il n’y a pas de guirlandes multicolores ni de vitrines alléchantes. Mais il y a la joie, une joie forte, imprenable. Une joie que, paradoxe des sociétés dites « développées », je ne retrouve pas sur les visages lorsque je marche dans les rues de Paris ou d’une autre capitale occidentale… A Akamasoa, nous préparons Noël dès les tous premiers jours de l’Avent. Nous préparons, avec les enfants, une grande crèche vivante. Et, pendant tout l’Avent, ils chantent la joie de la venue de Jésus parmi nous. Jésus qui naît à Bethléem dans des conditions très modestes, pauvre au milieu des pauvres, c’est soudain le ciel sur la terre, « Dieu avec nous », au plus près de nos combats pour la dignité et pour la justice.
– Lors de la grande messe de la Nativité qui, à Akamasoa, rassemble des milliers de personnes, comment résonne votre cÅ“ur de prêtre ?
– Nous sommes, comme chaque dimanche, près de 10.000 personnes à rendre grâce, pendant trois heures ! La Bible est apportée en procession par près de 200 personnes, presque tout un village ! Mon cÅ“ur alors déborde d’action de grâce : « Merci Jésus d’avoir sauvé ces milliers d’enfants ». Comme à l’auberge de Bethléem, même si nous n’avions plus de place, nous avons continué, pendant toutes ces années à accueillir les hommes et les femmes en détresse, quitte à repousser les murs. L’Esprit a travaillé, mis en mouvement nos cÅ“urs et nos mains. Ces mains indignes du prêtre que je suis qui consacre le pain et le vin et qui, très particulièrement le jour de Noël, entend résonner en lui cette demande pressante du Christ : « Mangez et buvez-en tous ! » Oui, « TOUS ! », à commencer par les plus affamés et les plus assoiffés ! « Le Puissant fit pour moi des merveilles… »
Nous pensions que le temps d’habiter dans les maisons en bois de 3m sur 3 était un temps révolu à Akamasoa.
Il y a 10 ans, en 2006, nous avions préparé un grand repas avec des milliers de personnes pour fêter la destruction des maisons en bois, et leur remplacement par des logements en dur.
C’était 10 ans en arrière.
Aujourd’hui, à cause de l’augmentation de la pauvreté et du nombre de toutes les familles en provenance de la rue qui frappent à notre porte, nous avons dû, contre notre volonté, recommencer à faire des maisons en bois.
Pour deux raisons : pour loger immédiatement ces familles de la rue qui viennent jusqu’à nous ; et, ensuite, pour donner une habitation individuelle à toutes les autres qui vivent depuis longtemps entassées dans les dortoirs communautaires de notre Centre d’Accueil.
Il est de notre désir, en effet, de donner à chaque famille un lieu, si petit soit-il, pour qu’elle ait un chez soi. C’est dans ce lieu intime, particulier, que la famille va retrouver la bonne entente, la solidarité et l’harmonie perdues à cause des années de vie dans la rue.
Ainsi nous avons recommencé à faire ces maisons en bois qui servent de première urgence et où les familles commencent l’apprentissage du vivre ensemble, entre elles et aussi avec leurs voisins. Elles y vivent à 5,6 et même 7 personnes ; dans 9m2, c’est exigu ! Mais c’est déjà mieux que de vivre sur les trottoirs ou les marchés de la ville.
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Regard en arrière
Autrefois, des milliers de personnes vivaient dans les maisons en bois que nous avions construites sur la colline, à Mangarivotra. Et nous avions remarqué une chose, c’est que malgré leurs habitations de fortune, une grande solidarité régnait entre les familles, une solidarité profonde et authentique.
Ces familles étaient toutes des survivantes de l’enfer, celui des rues, ou de la décharge. Et c’est dans cette extrême pauvreté, dans leur lutte commune pour s’en sortir, qu’elles se sont rendu compte que ce n’est qu’avec les autres frères et sœurs, en se donnant la main, en faisant un corps compact, qu’elles allaient pouvoir faire reculer la pauvreté.
Cela reste une expérience inoubliable pour tous les habitants d’Akamasoa, et fait partie de l’histoire indélébile de notre action.
Aujourd’hui, malgré la construction de villages en dur, d’habitations normales avec une petite cour et un potager, ce temps d’apprentissage, de solidarité, reste dans les mémoires de ceux qui l’ont vécu comme un moment d’une grande intensité humaine, de communauté et d’amitié.
C’est un peu ce que vont commencer à vivre ces familles qui arrivent à leur tour.
Un état d’esprit à recréer et affermir sans cesse
Même si de nombreuses familles ont progressé depuis cette époque, évoluant au sein du groupe, chacune possédant une maison individuelle, petite mais sympathique, nous devons tout le temps recréer cette ambiance de solidarité par les réunions de village, les fêtes, les messes, les associations, le travail communautaire de nettoyage de quartier, le sport, les commissions de santé.
Tout cela est indispensable et doit continuer pour rassembler les gens, car la tendance, on le sait et on le voit ailleurs, c’est l’individualisme. Mais pour l’instant, surtout grâce aux associations et à l’Eucharistie, nous tenons encore soudées la communauté et le peuple d’Akamasoa.
Cette bataille pour la solidarité, l’union, l’amitié et la fraternité ne se gagne jamais une fois pour toutes. C’est un combat continuel, parce que l’homme penche vers le moindre effort, l’égoïsme et le chacun pour soi.
Il n’y a que cet idéal communautaire qui puisse servir de barrage et sauver le groupe des dissensions internes. Cet idéal, nous l’avons déjà vécu, et c’est une expérience que nous voulons aujourd’hui transmettre à nos jeunes et aux enfants qui ne l’ont pas connue.
Nous savons aussi que cet effort pour unir les gens s’est fait dans les pays riches et très riches, et que cela doit leur coûter beaucoup d’efforts, et tout cela c’est louable. C’est ce genre d’expériences de solidarité qu’il faut promouvoir, pour unir les humains dans une seule et même famille, où il n’y ait ni exclusion, ni racisme, ni intolérance, ni fanatisme de tout genre, qu’il soit religieux ou politique.
Ici, à Akamasoa, nous faisons cet apprentissage humain à une échelle de quelques milliers de familles, et, avec des hauts et des bas, on avance. Quelques fois avec des tristesses mais aussi, souvent, avec beaucoup de joie.
Première étape d’une guérison
Cet apprentissage humain, pour les familles en provenance de la jungle de la rue, il commence dès leur installation dans les logements un bois, en même temps que s’enclenche un processus de reconstruction de la personne et de socialisation.
Les familles commencent par apprendre le respect de l’autre, des voisins, et la vie communautaire. C’en est fini de l’anarchie de la rue ; maintenant, ici, on s’engage à vivre ensemble, c’est-à -dire à se respecter, s’entraider, donner conseils et le bon exemple aux enfants. On commence aussi à abandonner l’alcool frelaté qui court comme de l’eau dans les bidonvilles de la capitale, souvent pour faire taire les souffrances, les drames, mais qui ne procure qu’une plus grande déchéance au réveil.
On apprend l’hygiène, à être propre, et surtout en ce qui concerne les latrines et les douches collectives.
Tout ce qui est collectif et communautaire est en général mal entretenu, ou géré dans l’indifférence. On se dit que c’est l’autre qui nettoiera, pas moi, et ainsi, comme tout le monde pense la même chose, les douches et latrines restent souvent très sales. Ce respect de l’hygiène constitue ainsi un apprentissage capital pour être capable de vivre ensemble plus tard dans un nouveau village.
Une prise en charge nécessaire mais lourde
Le tour du propriétaire de ces maisons en bois est vite fait. Chaque construction fait 3m sur 3. Tout est en bois, sauf le toit, qui est en tôle ; le dallage lui est en ciment. Matériel et main d’œuvre compris, une maison de ce genre nous revient à 250€.
Autrement dit, dès le premier l’accueil d’une famille de la rue nous devons prévoir cette dépense, ce que souvent les gens de la ville ou les autorités municipales ne se rendent pas compte lorsqu’elles nous envoient des personnes ; c’est une charge en moins pour elles, mais c’est à nous d’assurer le relogement de ces personnes.
Pour nous, c’est toute une chaîne de problèmes qui commence : il faut d’abord créer une petite maison de premier secours, avec quelques meubles, puis donner un emploi aux parents, avec des outils si nécessaires, et enfin organiser la scolarisation des enfants.
Cela représente un coût important, et explique que je sois obligé d’accepter toutes les invitations qui me sont faites pour témoigner des drames et des aides d’urgences qui sont à fournir immédiatement et quotidiennement, ici, à Akamasoa.
Car ces aides en effet doivent être apportées dans les plus brefs délais, et par le chemin le plus court. Le pauvre qui vient chez nous est déjà accablé par les promesses déçues et les drames. Il a besoin de voir qu’on s’occupe de lui, d’avoir un chez soi et du travail, pour commencer à croire qu’une nouvelle vie débute pour lui. Et ce genre de personnes brisées nous tombent tous les jours sur les bras.
Il est impensable que nous ne prévoyons pas des structures d’accueil et depuis 27 ans nous n’avons jamais cessé d’en créer, en les améliorant peu et peu et le mieux possible, afin que leurs souffrances soient atténuées et que les blessures guérissent.
Et un premier espoir de guérison pour ces familles de la rue qui nous arrivent dans le désespoir total, c’est de voir toutes les autres familles, qui étaient dans le même état qu’elles quelques temps plus tôt, déjà remises, debout, et prêtes à reconstruire leur vie. Cela motive les nouveaux arrivants ; ils se disent : si eux ont réussi à se stabiliser, à progresser, à avoir une vie digne, pourquoi pas nous aussi ?
Nous sommes les premiers surpris d’avoir recommencé à devoir construire des maisons en bois. C’est le drame et la pauvreté actuels qui nous obligent à le faire. Nous espérons que ces logements d’urgence pourront servir comme point de départ d’une vie nouvelle à toutes ces familles et ces enfants que nous accueillons tous les jours à Akamasoa.
Le travail, c’est la dignité humaine.
Tous les jours, en sortant dans les rues du village d’Akamasoa, je n’entends qu’une seule complainte : « mompera, omeo asa » (mon père, donne-moi du travail).
Ce sont des dizaines d’hommes, de femmes et de jeunes qui quotidiennement me lancent ce cri de secours afin d’avoir un travail, bien sûr rémunéré, et de pouvoir survivre avec leur famille.
Il est vrai qu’en entendant, tous les jours et depuis des années ce cri, à la fin, j’ai fini par avoir peur de sortir dans les villages, sachant à l’avance que chaque fois que je croiserai un homme, une femme ou un jeune, il me demandera du travail.
Mais en même temps, je me souviens des débuts d’Akamasoa il y a 27 ans, quand les parents qui vivaient dans l’extrême pauvreté, dans la rue et sur la décharge, me demandaient uniquement de l’argent : « mompera, omeo vola » (mon père, donne-moi de l’argent).
Ce sont plusieurs années de formation et de conscientisation réalisées à Akamasoa à tous les niveaux, dans les écoles, les réunions du Fokonolona, les prières et les messes, qui ont été nécessaires pour faire comprendre à nos frères et sœurs de la rue, que pour vivre il fallait travailler, et que pour avoir de l’argent, il fallait d’abord avoir un travail.
La tête quelques fois fatiguée par ces demandes incessantes, je m’écrie : « mais c’est au Ministre du travail que vous devriez vous adresser ! Car moi, je ne suis ni un entrepreneur, ni un chef d’entreprise ! »
Mais je suis en même temps heureux au fond de moi-même, car je sais que ces frères et sœurs, parce qu’ils ne me demandent plus simplement de l’argent, mais du travail, ont retrouvé leur dignité d’êtres humains.
Dieu seul sait le chemin parcouru par ces personnes pour comprendre que vivre dans la dignité, c’est vivre debout, avoir du travail, un logement et l’éducation pour ses enfants !
C’est en tenant compte de l’importance primordiale du travail pour regagner une dignité d’homme, de femme, que nous avons créé à Akamasoa des emplois d’urgence pour donner une occupation à quelques milliers de personnes, afin qu’elles puissent survivre.
C’est le but de toutes mes sorties du pays, de toutes mes tournées en France et en Europe. Où que je sois invité, mon premier souci est de trouver l’aide financière pour que ces hommes et ces femmes puissent continuer à avoir un travail et une petite rémunération à la fin de la semaine, qui leur permettent de tenir la tête hors de l’eau, en attendant des jours meilleurs, lorsque l’Etat prendra à bras le corps la responsabilité de créer des emplois et d’appeler les investisseurs à investir dans cette belle île de Madagascar.
Car il faut le dire haut et fort et le faire savoir : les pères et mères de famille malagasy sont prêts à travailler pour 1 ou 2€ par jour, et souvent dans des conditions difficiles, comme casser la pierre à longueur de journée, construire notre village, nos logements, nos routes pavées, …
Très peu de personnes dans le monde seraient prêtes à travailler pour une si petite somme, qui leur assure juste la subsistance !
Parmi les photos ci-dessous, vous pouvez voir des centaines de femmes, la plupart mères de famille de plusieurs enfants, qui travaillent à Akamasoa, dans le village au bord de la décharge d’Andralanitra, et qui s’occupent de l’assainissement, de l’arrosage des fleurs et du terrain de sport, de la propreté, mais aussi du transport des briques et du sable, lorsque les logements dans nos villages ne sont pas accessibles aux camions.
C’est une main d’œuvre indispensable pour que notre village continue de vivre, de se développer, et pour garder un minimum d’harmonie sociale, et ne pas tomber dans le chaos du chacun pour soi. Et toutes les semaines, ces femmes nous supplient de continuer à faire ce travail qui leur permet de vivre et de ne pas sombrer dans la détresse.
C’est pour cela que je n’hésite pas à accepter toutes les invitations qui me sont faites, pour témoigner du combat contre l’extrême pauvreté que nous menons depuis 27 ans, et je peux dire qu’après des milliers de témoignages, à travers la France et en Europe notamment, auprès des personnes de bonne volonté qui m’écoutent et qui ont du cœur, je ne suis jamais rentré à Madagascar les mains vides.
Maintenant, avec ce moyen qu’est Internet de faire immédiatement savoir nos problèmes, nos difficultés et nos besoins, je n’hésite pas à t’inviter, cher lecteur, chère lectrice, à regarder la photo de ces dames que je montre de la main, et qui sont là dans la cour de ma maison, à 100m de la décharge d’Antananarivo.
Et je n’hésite pas non plus à lancer un appel SOS en faveur de ces femmes qui veulent travailler, pour 1 ou 2 € par jour, pas plus, sous le soleil, dans le froid, dans le seul but de faire vivre leur famille et de donner à leurs enfants la possibilité d’étudier, et de manger un bol de riz.
Car depuis bientôt un demi-siècle, 46 ans précisément, je suis témoin de la sobriété de ce peuple malagasy, et surtout de ces mères de famille qui sont prêtes à s’investir dans n’importe quel travail dur pour donner un avenir meilleur à leurs enfants.
On a toujours dit qu’il fallait aider ceux qui travaillent. Je suis témoin ici que ces femmes veulent travailler, qu’elles aiment leurs enfants, qu’elles ont du courage et qu’elles font montre aussi d’une grande persévérance, parce qu’après avoir entendu tant de promesses jamais accomplies de la part des politiciens, elles travaillent toujours, et y croient encore.
Quel courage et quelle espérance, quelle bonté de ces femmes d’y croire encore après avoir été déçues pour la énième fois !
Ces centaines de femmes devant qui je parle, ne représentent cependant qu’une infime partie des milliers de femmes qui travaillent à Akamasoa. Il y a toutes celles qui travaillent à la carrière, à casser la pierre toute la journée, celles qui font manœuvre dans nos chantiers de construction de logement et d’écoles, celles qui confectionnent dans nos ateliers d’artisanat, et dont vous pouvez voir quelques photos ici.
Devant le grand courage de ces femmes malagasy, nous ne pouvons rester sans réagir ; par leur dévouement et leur obstination elles sont un exemple pour beaucoup sur notre terre.
Je voudrais aussi lancer cet appel et ce défi, à nous qui regardons ces photos de femmes au travail, ces visages marqués par la dureté de l’existence quotidienne, ces sourires pourtant rayonnants. Un geste minime de notre part peut les réjouir pour la vie, la journée, car elle ne se sent pas seule devant cette montagne de problèmes qui envahissent ses jours.
Les rapports sont tellement disproportionnés qu’avec l’argent de poche d’un enfant d’Europe, ces femmes peuvent continuer de travailler, c’est-à -dire pour elles survivre, avoir de quoi manger, un logement décent, et l’éducation pour leurs enfants.
Ce qui ne représente rien pour les habitants de certaines parties du monde, savoir 1€ ou 2, pour d’autres, pour des milliers de femmes malagasy, est une chance de survie, de ne pas mourir complètement isolées et délaissées.
Regardez ces visages, et pensez qu’un geste de votre part est le fil qui pourrait les retenir en vie ; et que ce geste n’est pas fait pour les assister, mais pour leur donner la possibilité de gagner leur vie par un travail, et sauver ainsi leur dignité.
Offrons-leur la possibilité de se battre pour elles et leurs enfants !
Fraternellement,
Père Pedro
18 février, stade Saint Pierre Akamasoa – Andralanitra
Comme tous les ans, nous avons vécu une des « Journées des écoles », la deuxième sur trois, au stade Saint Pierre Andralanitra dans une joie et une euphorie indescriptibles.
Ce sont les directeurs des écoles, les professeurs, le père Pedro et ses coéquipiers qui ont lancé le coup d’envoi de cette matinée consacrée à l’athlétisme, par un tour de stade en courant sous les cris, les ovations et les acclamations de tous les élèves présents. Près de 9000 élèves ce matin, en provenance des 3 centres Akamasoa d’Antananarivo : Andralanitra, Manantenasoa et Mahatsara !
Les quelques 200 athlètes qui allaient concourir sont ensuite entrés sur la piste en courant eux aussi et ont rejoint le centre de la pelouse, chaque groupe portant une pancarte où étaient inscrits leur logo et leurs slogans. Ils y avaient écrit les mots et les valeurs qu’ils souhaitent défendre pour leur vie et celle d’Akamasoa. L’un disait : un esprit sain dans un corps sain, une vie entièrement saine. Un autre : les études, la foi suivie des œuvres et la sagesse.
Lorsque tout le monde fut en place, sur la pelouse et dans les gradins, les 9000 élèves ont entonné l’hymne national, avec beaucoup de force et de conviction. Puis 2 jeunes filles ont salué les élèves et toutes les personnes venues pour cette fête sportive, dans le style rhétorique malagasy traditionnel avec beaucoup de grâce et d’élégance ; elles furent très vivement applaudies.
C’est le Père Pedro qui a ensuite pris la parole, insistant surtout sur les messages des pancartes à propos de la foi, de la sagesse et des études : tout cela, a-t-il dit, on ne se contente pas de l’écrire, on le vit ; et ici à Akamasoa nous applaudissons tous ceux qui travaillent, se sacrifient pour les autres et offrent leur vie pour leur bien commun.
La vie que nous menons ici, a-t-il ajouté, vous appartient, à vous et à vos parents, elle n’appartient à aucun Etat, parti politique ou association. Vous êtes libres d’en faire quelque chose de bien, alors faites-le ! De notre côté, nous sommes là pour vous donner l’exemple ; ayez courage, et tous ces conseils que nous vous donnons depuis 27 ans, je vous demande de les faire vôtres et s’il faut refuser quelque chose, que ce soit ma personne plutôt que mes paroles.
Des cris de joie ont retenti dans tout le stade, des plus petits aux lycéens et aux universitaires de l’école de Pédagogie.
Le Père a ensuite fait monter à la tribune une jeune fille de première d’Akamasoa, de 17 ans, qui venait de gagner à Ambositra, dans le centre sud de l’île, une compétition nationale de cross country, compétition très importante puisqu’elle l’a sacrée championne de Madagascar ! Prenant la parole, Christelle a incité tous ses camarades à la rejoindre pour prendre part aux compétitions avec elle, et ainsi porter haut les couleurs de la jeunesse malagasy et d’Akamasoa, avec beaucoup d’efforts et de persévérance !
Puis c’est le responsable de la circonscription (CISCO), venu avec son équipe, qui a dit quelques mots pour encourager et remercier les élèves qui participaient à cette rencontre sportive. Il s’est dit heureux de se retrouver devant une telle foule pleine de joie, et a ajouté que malgré les nombreux rendez-vous qu’il avait dans la matinée, c’est ici qu’il avait choisi de venir en premier lieu, pour prendre part et se réjouir avec le peuple d’Akamasoa. Il a souhaité à tous que cette fête soit remplie de joie et qu’elle se déroule dans un esprit de solidarité.
Nous avons beaucoup apprécié son message qui était fort, clair et court, ce qui est rare !
Les discours ne se sont pas éternisés, car c’était d’abord la fête des enfants, comme le père l’a souligné, et ce fut leur tour de rentrer en scène et en action !
Sous les commentaires de la directrice des primaires d’Andralanitra, Mme Emma, qui nommaient les jeunes athlètes, les courses de vitesse ont commencé : sprints de 70 ou 100 mètres, selon l’âge des participants, avec dans chaque course, un élève de Mahatsara, un de Manantenasoa et un d’Andralanitra !
Les sprints furent très disputés par les élèves choisis qui s’entrainaient depuis plusieurs semaines pour cet événement, et on voyait à la puissance des applaudissements et des cris, la joie des élèves à soutenir leur centre et leur école. C’était tantôt le nom d’Andralanitra, tantôt celui de Manantenasoa qui vibrait dans les gradins ; mais il faut le dire, cette année c’est Mahatsara qui s’est montré le plus méritant dans les courses de sprints et qui en a remporté la plupart !
On a vécu des moments de liesse incroyables, dans les encouragements de chaque école pour ses athlètes et toutes les personnes présentes ; cela montre que le sport peut unir les gens quand il y a une compétition fraternelle, et non pas la seule manifestation de la domination de quelqu’un sur un autre plus faible, moins doué.
On voit à travers ces courses ce que le sport peut apporter, et qui justifie qu’à Akamasoa nous encourageons depuis le début les jeunes à pratiquer le sport de leur choix : une compétition saine, avec de l’émulation et du respect, de la solidarité, et aussi de la discipline et de la rigueur pour être en forme le jour J.
Beaucoup de jeunes à travers le pays voudraient faire du sport, mais ce sont souvent les structures qui font défaut ; ici, à Akamasoa, chacun de nos centres possède au moins un terrain de foot et de basket, avec pour certains une piste d’athlétisme, et très régulièrement, le dimanche après-midi, nous organisons des compétitions, des coupes et des championnats, avec des équipes d’Akamasoa et de l’extérieur.
Après les sprints des collégiens et des lycéens, nous avons pu assister aux courses de demi-fond, elles aussi très disputées, suivies et encouragées par tous les élèves dans les gradins. Toutes ces courses et les relais étaient encadrés par les professeurs d’EPS qui accompagnaient leurs élèves le long de la piste. Chacun se donnait à fond pour donner la victoire à son équipe et à son centre, et cela a provoqué quelques blessures, mais rien de grave !, les responsables et le père lui-même venant tout de suite au chevet des blessés pour prodiguer les premiers soins, en donnant de l’eau ou en faisant des massages.
On peut dire que l’ambiance dans le stade Saint Pierre d’Andralanitra était surchauffée et elle n’a pas faibli en intensité durant près de 2h ! Des séances photos avec les différents responsables, les jeunes, les encadreurs et le père Pedro ponctuaient ces compétitions.
Pour maintenir cet enthousiasme et cette concentration sur le sport, on doit féliciter les encadreurs qui ont si bien préparé ces compétitions. Durant toute la matinée, tout s’enchaînait tout de suite, sans aucun temps mort ; à chaque moment, on assistait à un nouveau départ dans les des quatre coins du stade, ce qui relançait continuellement l’attention des gens.
C’est un effort que nous faisons, à Akamasoa, chaque fois qu’une foule est conviée, de ne pas laisser de temps vide, de peur que les gens se distraient et ne s’intéressent plus à ce qui se passe sur le terrain.
Puis le père a pris la parole pour clore ces rencontres, en disant que maintenant il fallait continuer tous ces efforts que nous avons faits, prolonger cet élan, cette force, ce courage, et cette passion, mais les mettre cette fois-ci dans les études, en travaillant pour le bien commun de tous. Il a passé la parole au chef CISCO qui a exprimé une nouvelle fois sa grande joie, en ajoutant qu’il n’avait imaginé, avant d’arriver à Andralanitra, pas plus la grandeur du stade, que le nombre d’élèves et leur euphorie ; il les a encouragés à vivre dans cet état d’esprit.
Et tous les élèves se sont tranquillement acheminés vers la sortie du stade, en attendant les festivités de l’après-midi, qui auront lieu sur le terrain de basket !
Chaque centre continuera jusqu’à demain vendredi les différentes fêtes de ces « Journées des écoles » : fêtes sportives et culturelles, dans les centres et les villages.
De telles journées donnent beaucoup de joie et d’espérance dans les enfants et la jeunesse de Madagascar. A nous les éducateurs de canaliser et d’orienter tous ces talents pour le bien de tous, afin d’empêcher nos jeunes de tomber dans la vie facile, l’indifférence et le chacun pour soi, qui souvent règnent dans la Ville.
Nous voulons partager avec vous les photos prises en ce jour, par Mlle Clara qui a réalisé ce reportage !
Nous recevons de nombreuses demandes concernant un séjour humanitaire à Akamasoa. Nous aimerions, par ce texte et en toute simplicité, expliquer à toutes les personnes qui demandent à venir à Akamasoa, en quoi notre travail humanitaire diffère quelque peu des autres actions du genre.
Notre singularité
Tout d’abord, par le nombre de personnes que nous prenons en charge : d’une part, celles qui viennent chercher tous les jours une aide ponctuelle à notre centre d’accueil, et que nous avons recensées à plus de 43 000, pour l’année 2015 ; d’autre part, les 25 000 qui sont directement concernées par tous les projets d’Akamasoa. Ces nombres dépassent de loin le cadre d’une association humanitaire.
Ensuite, une action humanitaire intervient dans un domaine précis, dont elle fait son projet. A Akamasoa, nous pouvons dire que nous nous occupons en même temps de 10 projets totalement différents, mais qui se complètent et se suivent, pour la simple raison que la vie des êtres humains elle-même ne peut être divisée en tiroirs et cloisonnée.
Ainsi, nous nous occupons de l’accueil, de l’éducation, de la cantine, de la santé, mais aussi de la création d’emplois, de la construction de logements et de l’assainissement de nos villages, de l’environnement et du reboisement, de la sécurité, du sport, des cimetières que nous avons construits et qu’il faut entretenir, et, enfin, de l’animation de la foi et de la réception des sacrements. Toute la vie d’une ville et de ses habitants.
Notre lutte est une réponse aux situations d’urgence de l’extrême pauvreté, dans tous les domaines
Notre action Akamasoa est une lutte quotidienne contre l’extrême pauvreté, lutte difficile voire dangereuse. Nous recevons les appels SOS des plus pauvres d’Antananarivo, de ces familles venues de la campagne chercher un travail dans la capitale et qui n’ont trouvé qu’une fragilité et une déchéance plus grandes.
Nous accueillons des personnes qui ont rompu toute relation avec la communauté humaine, des personnes qui ont perdu leurs repères moraux.
Ecouter, comprendre et convaincre ces personnes ayant perdu toute espérance est un travail difficile dans lequel il faut investir des années, voire des dizaines d’années.
Parmi les gens que nous avons reçus à Akamasoa, certains boivent, d’autres fument le chanvre, la drogue locale qui souvent les rends fous. Nous avons, à l’intérieur du peuple d’Akamasoa, au moins une centaine de personnes qui ont perdu la raison. D’autres encore sont habitées d’une grande violence envers la société, et veulent en découdre avec leurs compatriotes parce qu’elles se sont senties oubliées et trahies par leurs propres frères.
Il y a ensuite des personnes qui, pour survivre, se sont habituées à voler, et pour qui le vol est devenu une seconde nature ; elles ont du mal à changer et à vaincre ce défaut qui leur colle profondément à la peau. D’autres, très astucieuses, mentent et inventent des histoires pour vous faire tomber dans le sentiment et la compassion.
Autant de ruses et de mécanismes inventés pour survivre dans la rue, pour survivre à tout prix dans une souffrance de plusieurs années.
Il ne faut pas croire non plus que convaincre les parents d’amener leurs enfants à l’école soit facile : les enfants de plus de 10 ans, qui ont été habitués au laisser-aller, au désordre, à l’anarchie, aux caprices, aux bruits et aux attractions de la rue, ont du mal à accepter la discipline de l’école et un horaire de vie pour la journée. Ils sont attachés à leur liberté, mais c’est une liberté qui ne vaut que pour s’adonner à leur plaisir du moment.
Nous recueillons aussi des malades dont les maladies couvées et cachées pendant de longues années, demandent une guérison longue, périlleuse et coûteuse.
Dans un monde où la pauvreté est présente à tout instant, où la propreté et l’hygiène font défaut, nous avons malheureusement aussi beaucoup de décès dans nos villages. Nous devons encourager et rehausser les forces et le courage de toutes les familles tombées dans le deuil.
Jamais, je dois dire, je ne pourrai faire un enterrement par habitude, par routine, puisque je souffre moi-même avec ces familles pour qui le deuil vient redoubler la souffrance vécue au quotidien. Et c’est cette compassion dans la mort d’un être cher qui nous a soudés davantage, puisque ces familles ont compris que même mortes, on les respecte et on respecte les coutumes ancestrales funéraires. Cette proximité dans la mort m’a ouvert la porte de leur cœur.
Un long travail d’apprentissage avant de pouvoir aider
Comme vous pouvez le constater, notre travail n’est pas du tout simple et à la portée de tout le monde. D’abord, il y a eu un temps d’apprentissage des personnes, du lieu, des traditions, et dans mon cas, cela a demandé 15 ans avant d’initier l’aventure d’Akamasoa.
Il faut en plus une passion humaine à toute épreuve, de la maturité et une expérience de service pour devenir proche de toutes ces personnes qui souffrent dans leur vie. Il faut connaitre leurs mentalités et leurs coutumes, et surtout parler leur langue.
Nous n’avons pas cherché cela, mais, par la force des choses, tout ce travail dépasse l’humanitaire : il est indispensable que nous soyons constamment aux côtés des personnes que nous prenons en charge, dans toute leur vie, de la naissance à la mort, car il s’agit de personnes oubliées et repoussées hors du circuit social. Sans cette présence, tout ce temps passé pour les accompagner, elles ne réussiraient pas à se remettre debout et à retrouver une place dans la communauté.
Et pour ce travail, ce sont les jeunes du pays, à condition qu’ils aient l’amour et la motivation, qui sont les personnes les plus appropriées.
Ce sont les jeunes d’un pays qui doivent lutter pour leur frères et sœurs
Nous avons toujours pensé, en effet, que ce combat n’a un sens et ne peut aboutir que parce que ce sont les jeunes du pays qui sont en première ligne, et qui luttent contre la pauvreté sur leur terre d’origine. Ces jeunes-là , prêts à se battre pour leur pays, ne courent pas la rue, et surtout pas les classes aisées où ils vivent souvent divisés, les pieds à Madagascar, mais la tête et le cœur dans les pays riches, ne pensant qu’aux derniers gadgets et technologies, ce qui reste une tentation courante dans les pays pauvres du monde entier.
J’ai eu la chance de trouver, tout au début, des dizaines de jeunes diplômés qui sont venus me dire : nous aussi nous aimons notre pays, et nous voulons nous investir dans cette action de solidarité. Puis, peu à peu, au fil des années, nous avons eu, sortis de nos villages et de nos écoles, des centaines de nos enfants diplômés qui sont restés avec nous pour continuer ce combat contre l’injustice qui a créé toute cette pauvreté.
Cela doit continuer, puisque la relève est déjà là : les enfants que nous avons reçus à l’âge de 5 ans, accueillis dans nos crèches et nos maternelles, sont aujourd’hui professeurs, instituteurs, médecins et gestionnaires.
C’est à eux et aux jeunes du pays de dénoncer les exactions et de corriger les injustices commises par leurs propres compatriotes envers les plus pauvres de la nation. Ce sont eux qui, connaissant leurs habitudes et leur vie de l’intérieur, peuvent aider immédiatement leurs compatriotes.
Un travail dur, quotidien et incessant, peu propice à un séjour humanitaire
Le combat que nous menons demande d’affronter tout le temps des situations où nous-mêmes, pourtant déjà habitués à ces drames, nous nous sentons fragiles et faibles, nous comprenons nos limites et nous devons nous entraider pour nous relever avec courage, passion, force et amour.
Notre équipe, c’est un travail commun de plusieurs années, de formation et de partage de vie, qui l’a créée. C’est cette longue expérience qui a donné cette grande amitié et fraternité qui nous a permis de vaincre des situations dramatiques à l’extrême sans paniquer, sans perdre courage, et de rester debout auprès des plus pauvres, pour changer ces situations invivables qui étaient la vie normale des gens à l’époque, en des rapports plus respectueux, voire fraternels aujourd’hui.
Malgré les difficultés, nous n’avons jamais, durant cette lutte, demandé aucun privilège ; aujourd’hui, après 27 ans, nous exigeons seulement considération pour l’envergure des tâches accomplies et le nombre de pauvres qui frappent à nos portes.
C’est pour cela que devant ces situations tellement dramatiques et quotidiennes, nous ne pouvons pas recevoir des jeunes, des adolescents d’autres pays, et surtout ceux qui désirent venir seuls, car ils ne pourront pas faire face à ces tragédies.
Être là et cacher la vraie situation de ces familles pauvres, ce serait aussi tromper les gens, leur faire croire que tout est idyllique, que tout va bien, que tout est beau, alors que la réalité est tout autre.
Nous avons déjà reçu à Akamasoa des groupes de jeunes qui, sous l’égide d’une association, d’un collège ou d’un lycée, viennent passer une ou deux semaines, voire jusqu’à 1 mois, mais puisque cela est vécu en groupe, c’est beaucoup plus facile et viable.
Mais en principe, nous ne recevons pas des personnes seules. Nous savons aussi qu’il y a d’autres associations plus à la portée des jeunes en quête d’expérience humanitaire, et nous souhaitons qu’elles aussi bénéficient de ces aides venues d’ailleurs.
Appel aux jeunes malagasy
Personnellement, après avoir vécu 46 ans à Madagascar, j’ai compris que ce pays ne sera changé et transformé que par ses propres citoyens, ses propres jeunes surtout, qui se révolteront contre les injustices de l’extrême pauvreté, ces injustices qui crient au ciel et qui ont été créées de toutes pièces par les dirigeants mêmes du pays.
Nous souhaitons que ces jeunes révoltés soient de plus en plus nombreux, et qu’une fois arrivés aux plus grandes responsabilités, ils ne retournent pas leur veste comme l’ont fait la plupart des dirigeants de leur Nation depuis l’Indépendance, jusqu’à aboutir aujourd’hui à cette économie politique que gangrènent la corruption et le népotisme. Car les dirigeants, l’administration et les fonctionnaires du pays, ce sont eux la pierre d’achoppement du développement : assoiffés de back chiche, ils empêchent le progrès à cause de leur mentalité de corruption.
Voilà ce que j’aimerais dire aux jeunes d’Afrique et de Madagascar : vous les jeunes, vous pouvez démontrer que la pauvreté n’est pas une fatalité, et surtout pas une punition divine, mais qu’elle a été créée par les humains et qu’elle est entretenue par eux, par nous, par la société, par les partis politiques qui cherchent seulement le pouvoir pour le pouvoir, et d’abord, par tous ceux qui ont peur et qui n’osent pas dénoncer l’injustice, cette injustice qui aujourd’hui ferme la porte de l’avenir de millions d’enfants.
Nous pensons qu’un jour, des jeunes qui aiment leur pays, leurs frères, leurs sœurs et leurs propres enfants, pourront être authentiques, vrais, honnêtes et prêts à sacrifier leur vie pour le bien de leur peuple et de leur nation. Est-ce un rêve ? Je pense que cela peut être aussi une réalité.
Il est temps de se révolter
Car où sont passés ces jeunes révolutionnaires de 1972 qui rêvaient d’un monde plus juste, plus fraternel, d’un monde de partage ?
Nous avions presque le même âge, à cette époque. A 24 ans, en 1972, j’étais déjà à Madagascar ; et quand cette révolution s’est produite, je l’ai applaudie des deux mains, en pleine place publique à Vangaindrano.
Où est passé le désir de justice de ces jeunes révoltés, leur désir de partage, de solidarité, de Fihavanana, leur volonté de développer plus rapidement le pays et de donner à chaque citoyen les mêmes chances, dans les grandes villes comme à la campagne ? Où sont passés ces bons désirs, ces belles promesses pour le peuple malagasy ?
Et que sont devenus ces jeunes une fois qu’ils ont pris des responsabilités dans la société et dans les sphères du pouvoir ?
Madagascar et l’Afrique continuent de sombrer dans la pauvreté, voire la misère ; pourquoi ? Tous les diplomates présents à Madagascar connaissent cette situation ; mais par devoir « diplomatique », ils doivent dire des vérités d’une façon cachée, afin de ne pas mettre mal l’aise les responsables du pays. Mais à qui profite cette hypocrisie ? A personne.
Jésus a dit : seule la vérité vous rendra libre.
Pourquoi donc partout ce manque de courage et de persévérance, ce manque de vérité et de justice ?
Nous portons devant nos enfants la responsabilité du monde actuel. Que leur dirons-nous au sujet de leur avenir ? Leur raconterons-nous de belles histoires adoucies, atténuées, voire des légendes ? Ou bien leur donnerons-nous l’exemple à suivre, par notre propre vie quotidienne en faveur de la justice, de la fraternité et du partage ?
Partout où je suis passé j’ai toujours défendu la force de la jeunesse : ce sont les jeunes qui portent l’espérance d’un peuple. Tous, nous espérons qu’un changement se produise un jour, pour qu’enfin nous puissions, par nos propres forces, renverser ce courant égoïste, indifférent et cette gabegie que tant de nos aînés nous ont laissée en héritage, sans scrupule ni mauvaise conscience.
Il est temps de se révolter, de tourner la page, de se risquer soi-même et d’oser dénoncer les injustices, en commençant dans sa propre famille et son propre quartier, et de construire cette société, ce pays que nous chantons dans notre hymne national toutes les semaines.
Heureusement, les Eglises chrétiennes sont très proches du petit peuple de la brousse, de la campagne et des bidonvilles ; mais elles devraient davantage dénoncer le mensonge, la corruption, le manque de vrai patriotisme, tout ce qui en général n’est pas fait pour le bien public et commun.
Ces dénonciations existent, mais elles sont trop sporadiques et quelques fois elles n’arrivent pas jusqu’au petit peuple, au fond de la forêt et de la campagne.
Tous nous avons tendance à oublier que cette lutte pour la dignité humaine et contre la pauvreté et la faim devrait être plus systématique et plus régulière, plus persévérante aussi, et qu’elle devrait se faire au quotidien.
Il nous est impossible de répondre à toutes les demandes
Bien sûr, à Akamasoa, nous ne fermons les portes à personne, mais je le répète, je sais que ce pays ne sera sauvé que par ses propres jeunes, dès qu’ils auront compris, par la foi et la force de l’espérance, la possibilité de commencer cette révolution de la justice pour chaque enfant, chaque jeune, chaque personne adulte dans ce beau pays qu’est Madagascar.
Tous ceux qui viennent de l’extérieur partager notre expérience de ce combat, de façon humble et fraternelle – ces deux qualités étant la condition indispensable pour venir dans un autre pays et une autre civilisation –, ceux-là seront les bienvenus.
Une présence d’autres personnes, en effet, avec une culture, des expériences et des combats différents, peut toujours nous aider à continuer notre propre combat et à améliorer notre vie de tous les jours. L’ouverture à l’universel et à d’autres valeurs, à l’autre en général, est nécessaire pour tous les êtres humains dans le monde.
Cependant, même s’il y a une bonne volonté, un désir de servir les autres, nous ne pouvons pas, je le répète, accepter toutes les demandes.
Un échange à sens unique
Il faut que les jeunes d’Europe et d’Occident comprennent qu’il y a aussi des jeunes de Madagascar et d’Afrique qui aimeraient faire des séjours humanitaires dans l’hémisphère nord. Mais avoir un visa constitue pour eux un parcours extrêmement difficile, irrespectueux même, parfois, pour leur propre personne, quand toutes sortes d’informations concernant leur vie privée leur sont demandées, et souvent tout cela n’aboutit qu’à un refus. Alors qu’un jeune d’Europe n’a qu’à remplir quelques papiers, et en quelques heures ou quelques jours, un visa lui est délivré.
On devrait donner à tous les jeunes du monde cette chance de pouvoir voyager, car les voyages forment les personnes, élargissent leurs horizons et éclairent leur vie. Mais pour l’instant, c’est à sens unique.
Nous pensons aussi qu’il est possible d’aider les pays pauvres qui nous sont les plus proches géographiquement et culturellement, et que ce devrait être cela la priorité des jeunes en Occident qui désirent faire de l’humanitaire, plutôt que de partir à l’autre bout du monde, parfois dans le sens d’une recherche d’exotisme.
Ceux qui veulent faire de l’humanitaire devraient commencer dans les lieux difficiles de leur propre pays, afin de faire une première expérience, de s’ouvrir et de nourrir leur soif d’aller plus loin dans cet engagement.
Aider sera toujours difficile
Rien n’est pareil, dans aucun pays, dans aucune situation, et surtout quand il s’agit de l’Afrique, la grande oubliée du progrès, ce continent qui reste encore très enraciné dans des coutumes ancestrales fermées à la compréhension des pays du Nord.
L’essentiel est le désir et l’envie qu’on a au fond de soi-même de faire progresser l’humanité, de donner un coup de main à ceux qui vivent dans l’extrême pauvreté ; mais même là , le désir ne suffit pas : il faut encore être assez simple et discret, car l’amour lui non plus ne peut s’imposer.
Il faut être assez humble pour instaurer une relation de confiance, et laisser grandir d’elle-même la relation humaine.
Il faut avoir un charisme, sentir un élan, une énergie. Et pour aller plus loin dans l’aide humanitaire, il faut se lancer, car c’est en se lançant qu’on apprend à nager. Nous avons fait cela.
L’essentiel est cette volonté, mais elle ne suffit pas. L’autre est aussi important que moi ; il faut le respecter, dans ses traditions et ses coutumes. Cela ne peut s’apprendre ; il faut laisser le temps.
Même si on a appris dans une université des leçons sur la diversité des cultures, la vie de tous les jours est différente ; le contact avec une personne humaine est différent, car il peut y avoir, d’un côté comme de l’autre, refus ou syntonie.
Ce ne sont pas les choses apprises qui guident les conduites dans la relation humaine, mais un sixième sens qui nous guide vers l’harmonie, et nous fait saisir au-delà de tout l’âme de la personne qui nous fait face. Cela ne s’apprend pas dans les livres ou les conférences, mais au milieu de la vie, au milieu du peuple, des drames, des joies qu’on vit dans chaque tribu, dans chaque nation.
Un combat pour la liberté et la justice que chacun peut accomplir là où il se trouve
Tous sur Terre, nous sommes convaincus que nous ne sommes pas nés pour souffrir et vivre dans l’extrême pauvreté comme des exclus et des mendiants. Nous vivons pour être nous-mêmes, authentiques, libres et heureux.
Un tel combat se réalise tous les jours avec des hauts et des bas, dans cette Association Akamasoa qui est devenue un Mouvement de solidarité et d’action en faveur de chaque enfant, de chaque frère et sœur qui vit dans la pauvreté et que son propre pays a délaissé et oublié.
Et ce combat doit se traduire par des actions immédiates et concrètes ; ce n’est que parce qu’elles sont vécues au quotidien que les paroles de dignité et de vérité prennent un poids et une valeur.
A chacun de nous d’essayer de les mettre en pratique, là où il vit, dans la culture qui est la sienne, là où connaissant les mentalités et les façons de faire, il est le mieux à même de venir en aide à ceux qui souffrent.
Fraternellement,
Père Pedro