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Le mariage précoce, une des causes de la pauvreté qui persiste

Cette semaine, à plusieurs reprises, j’ai été confronté à des drames de mariage précoce.

Depuis la nuit des temps, le mariage, l’amour entre un homme et une femme, est un signe de vie, d’amour, de respect, de la continuation d’une famille et d’une race.

Mais aujourd’hui à Akamasoa, je me rends compte que de nombreux jeunes, garçons et filles, délaissent leurs études à partir de 15, 16 ou 17 ans. Pour plusieurs raisons : ou bien parce que les filles sont tombées enceintes d’une façon inattendue, ou parce qu’un jeune homme les a séduites, et qu’elles n’ont plus eu la chance de se ressaisir, suivant cet homme qui leur a promis le ciel sur la terre, avant d’être confrontées quelques années plus tard, au contraire. Combien, en effet, parmi ces filles parties trop tôt, sont ensuite revenues dans la maison de leurs parents, renvoyées par leur premier mari ?

Père Pedro Akamasoa mariage précoce

Une famille en difficulté

Ce problème de mariage précoce vient aussi du fait qu’avoir un enfant, pour les jeunes filles, cela signifie réaliser sa vie. Ce qui est certainement vrai mais pas dans l’adolescence, où l’on prépare encore son tempérament, son caractère, son bagage intellectuel et spirituel pour affronter la vie plus tard.

Cette exaltation du mariage, de l’amour romantique entre un homme et une femme, qui attire tant les adolescents, n’est qu’une façade du vrai amour. Une façade qui est vraie dans certains cas, mais pas toujours, pas systématiquement, pas d’une façon globale comme on veut le faire croire.

Le cas d’une famille

Cette semaine encore, j’ai vu le cas d’une famille, où la maman, abandonnée par le père, est restée seule pour s’occuper de leurs 7 enfants. Et l’aînée, une jeune fille de 17 ans, est déjà en ménage avec un jeune homme !

Lorsque j’ai rendu visite à cette famille, dans leur maison, la jeune mariée se trouvait là par hasard. J’ai demandé à la maman : pourquoi donc ta fille est partie si tôt, pourquoi n’a-t-elle pas étudié et accompagné, aidé à grandir ses petits frères et sœurs ? La maman m’a répondu : elle a trouvé un homme ; elle doit maintenant s’occuper de son mari et de son foyer.

Je me suis alors adressé à la jeune fille : si tu aimes cet homme, et s’il t’aime, pourquoi n’a-t-il pas pu attendre, avant de t’épouser, pour que tu puisses travailler et aider tes petits frères et sœurs ?

Nous aussi, dans ma famille en Argentine, nous étions nombreux. Et mes parents, des émigrés, se trouvaient en difficulté. Mais mes 6 sœurs ont attendu avant de se marier, elles ont aidé mes parents, et pas une ne s’est marié avant 22 ou 23 ans.

Ce mariage précoce, qui fait rêver tant de jeunes, s’avère un drame pour les jeunes filles plus tard. Bien que nous fassions régulièrement, dans nos écoles et avec nos docteurs, l’éducation sexuelle, et que nous parlions autant avec les garçons qu’avec les filles, il y a, parmi nos 14 000 élèves, toujours des dizaines qui tombent dans ce piège de l’amour idéal, du mariage heureux qui va embellir leur vie.

Une jeune fille en fuite

De même, s’est produit il y a quelques semaines, le cas d’une jeune fille d’à peine 18 ans, en seconde, qui était allé passer des vacances à la campagne, et qu’un jeune homme a charmé. Juste au moment de rentrer, de retourner à ses études, elle a disparue. Pendant une semaine, nous étions tous intrigués, et nous l’avons cherchée partout, car nous ne connaissions pas le garçon avec qui elle s’était enfuie. Nous l’avons finalement retrouvée 10 jours plus tard, sur un marché, et nous l’avons ramenée à la maison. Sa famille, ses amis, tous lui ont parlé, d’une façon aussi chaleureuse que dure, chacun avec sa pédagogie, pour essayer de la convaincre et la faire revenir dans le monde réel. Finalement, après des paroles parfois rudes, elle a décidé de continuer ses études. Et aujourd’hui après 1 mois, elle donne des signes s’apaisement ; elle semble revenue à la joie intérieure et normale d’une adolescente.

Hier, à la réunion hebdomadaire avec les dizaines de directrices des écoles d’Akamasoa, j’ai dû entendre que plus d’une douzaine de jeunes filles ont quitté les études parce qu’elles veulent se marier, avec celui qu’elles considèrent être l’homme de leur vie. L’expérience montre cependant qu’elles s’engagent dans un chemin difficile, d’autant plus qu’elles sont très peu aidées par leur famille, où père et mère sont désorientés, après avoir baissé les bras face à des réclamations fortes et brutales de leur part : c’est mon droit d’aimer, d’être aimé.

Les artistes

L’Etat malagasy, ses dirigeants, et surtout le ministère de l’éducation se rendent compte de ces drames et des pièges dans lesquels tombe la jeunesse. C’est pour cela qu’une campagne de prévention sur le mariage précoce avait été lancée. Dans une chanson, une jeune fille, d’une belle voix, chantait son amour pour son prince aimé, alors que son père essayait de la raisonner, lui aussi en chantant. Mais la voix de la fille était tellement belle, et les paroles du père qui cherchait la dissuader si peu audibles, comme en sourdine, que la campagne semblait poursuivre un but contraire. Ceux qui avaient composé la chanson donnaient raison à la fille qui veut se marier, dont la belle voix dépassait les paroles sages, réalistes et respectueuses du père. Finalement, il fut décidé de ne plus diffuser le morceau sur les ondes de radio.

De même, il m’est arrivé de dire à plusieurs artistes : vous qui avez une telle audience auprès les jeunes, pourquoi ne créez-vous pas des chansons pour les faire réfléchir sur le fait que l’amour est une chose difficile, un long chemin qui demande de s’engager et de se sacrifier pour le découvrir ? Cet amour de rêve ne court pas les rues. Un grand chanteur a ensuite composé un chant dans ce sens là. Mais par rapport au nombre, c’est encore très peu, et tous exaltent cet amour romantique. Ce qu’non peut dire c’est que sous le mot amour qu’ils utilisent nous ne mettons pas le même contenu qu’eux, nous les parents et éducateur.

L’explosion de la pauvreté

Il est urgent qu’aujourd’hui les responsables de l’Etat prennent ces problèmes à bras le corps pour aider et donner les moyens à toutes les écoles, collèges et lycées afin de dissuader les jeunes de s’engager dans le mariage précoce. Un mariage qui, dans tout le pays, a provoqué une explosion de la pauvreté.

Combien de fois en effet des jeunes filles m’approchent et me demandent : mon père, donne mon un travail, puis aussi un logement, car nous sommes 4 voire 5 couples dans une maison. Mon père, tu comprends bien qu’on ne peut vivre à 5 couples dans une maison, chacun de nous est adulte, et de fait a ses caprices et ses tempéraments.

Je leur réponds : quand tu t’es mariée si jeune, tu n’es pas venue me demander conseil. Maintenant tu me mets devant un fait accompli, et si beaucoup de jeunes imitent ce que tu as fait, c’est la fin de tous les efforts que nous avons accomplis dans les écoles, et on risque de revenir au point de départ. Et de mon côté, je me dis en moi-même : si je suis trop compatissant avec ces cas, je risque d’encourager d’autres à suivre le même chemin. Et quoi qu’on fasse la situation va être difficile.

A la célébration du dimanche, j’aborde souvent de front ce thème pendant l’homélie en m’adressant aux jeunes : quand vous voulez vous marier, prévoyez et réfléchissez bien avant de faire le pas décisif ! Des choses sont indispensables : vous devez avoir plus de 20 ans, il faut que le garçon que vous aimiez ait un travail, car sinon comment subviendrez-vous à vos besoins et à ceux de votre foyer ? Et avant le mariage, il faut aussi que vous possédiez un petit logement pour vous installer. Si ces 3 conditions ne sont pas réunies, il est sage de ne pas penser à ce rêve d’amour et de vie commune, qui n’en est pas un.

Le rôle de l’État

Il est certain que cette explosion des mariages précoces a provoqué une promiscuité, dans laquelle la famille s’est désunie et désintégrée. Le manque d’espace, de nourriture, le manque de tout, ne peut produire que la bagarre, la zizanie, l’explosion même de la famille. Et les conséquences de cela, observées dans nos villages, sont parfois des blessures à l’arme blanche.

L’État pourrait utiliser toutes ces statistiques qui dans chaque pays montrent à partir de quel âge les jeunes sont poussés à se mettre en couple, afin de prévenir les catastrophes produites par les séparations précoces, les suicides parfois, les situations où c’est la mère qui se retrouve seule avec des enfants sur le dos, dont elle ne peut matériellement s’occuper.

Pourquoi l’État n’a pas pu construire des milliers de logements pour ses propres enfants ? Pourquoi ne leur donne-t-il pas la possibilité et des facilités pour payer un loyer raisonnable, afin de seulement pouvoir vivre, et ensuite construire une famille ?

Père Pedro Akamasoa famille

Une famille sans logement

Aujourd’hui, pour une famille, construire une maison relève de la loterie, c’est un rêve, presque inaccessible. Cela ne peut durer à l’infini, car on crée le chaos d’une façon volontaire. Nous disposons pourtant des moyens pour construire des maisons à bas prix, accessibles à tout le monde, cela est possible. Mais il faut que ce soit connu, et à la portée des gens.

L’urgence de ces aides, ces milliers de logements, qu’il est possible de construire en Europe, devrait aussi être réalisé à Madagascar. Sinon ne nous étonnons pas que des bidonvilles naissent un peu partout dans Antananarivo, où les gens s’installent près des canaux d’évacuation, des chemins de fer, partout où ils trouvent le moindre espace vide, s’installent de façon anarchique mais poussés par la nécessité, dans cette capitale où la poussée de la démographie a fait de chaque parcelle encore inoccupée un objet convoité.

Le vol de terre

Dans le même registre, les vols de terre sont devenus un sport national.  Le comble, c’est que ce ne sont même pas les pauvres qui le pratiquent, mais des gens déjà aisés, roulant dans de grosses autos, qui grâce à des connivences avec les autorités en charge des cadastres et le service des domaines, s’accaparent ces terres et vendent aux plus pauvres. Et ainsi ce sont encore les plus pauvres qui payent la facture.

Cela est devenu un drame. Tout autour d’Akamasoa, nous sommes sur le qui vive parce que partout des gens veulent occuper des terres déjà attitrées. Les responsables ne réagissent pas de façon conséquente, et cela encourage les mal intentionnés, les astucieux, ceux qui prônent la gabegie à bon marché. Ces voleurs de terre insultent, font prévaloir leur force du côté de la loi, quand eux mêmes détruisent la loi, et créent des fondations de futurs bidonvilles où il n’y aura aucun plan d’urbanisme, aucune route ni trottoir. Les gens s’installent de façon sauvage un peu partout, et cela, on le payera dans quelques années ; on demandera des comptes, et à qui en revient la responsabilité.

Ascension dans la « Cathédrale » de granit d’Akamasoa

 

Quand un jour de fête d’Eglise tombe au milieu de la semaine, nous sommes souvent gênés puisque nos milliers d’ouvriers, qui sont parmi les plus pauvres, vivent du fruit de leur travail quotidien. C’est totalement différent des ouvriers en Europe, payés mensuellement, avec un salaire 20 fois plus important, et qui peuvent très bien arrêter une journée ou deux, et même faire un pont de 4-5 jours. Cela est impossible pour les ouvriers de nos carrières, qui mangent ce qu’ils gagnent durant leur journée de travail.

Voyant l’envie de travailler de ces familles, de donner à manger à leurs enfants, nous avons pris l’habitude  de fêter l’Ascension, le 15 août et le 1er novembre, très tôt le matin, afin qu’ensuite les gens puissent retourner à leur travail, et gagner leur riz de la journée.  Et ces 3 célébrations, nous les faisons dans une de nos carrières, à Mahatazna, que nous appelons cathédrale.

Père Pedro Akamasoa, Ascension 2016

A la différence des cathédrales d’Europe qui sortent de terre, la cathédrale d’Akamasoa est creusée dans le granit. Après 27 ans de travail, en effet, nous avons créé deux grands cratères à l’intérieur de la montagne de granit autour de laquelle se trouvent nos villages. Et dans celui du quartier de Mahatazana, nous avons aussi sculpté un autel dans une pierre d’un seul tenant qui vient de la carrière même.

A chacune de ces fêtes nous rassemblons des milliers de personnes, mais je pense qu’en cette Ascension 2016 nous avons battu des records et que 10 000 personnes sont venues célébrer cette fête de l’Ascension du Christ au Ciel.

Père Pedro Akamasoa, Ascension 2016Chaque fois que je dis la messe devant des milliers de personnes, et ce jeudi, entouré de plus de 225 enfants de chœur, une vraie émotion est présente, une vraie communion, on se sent emporté comme au temps de Jésus. Les gens sont assis à même le sol, sur les moellons, à l’intérieur de la carrière. Et ce mur de granit qui nous entoure de tous côtés, nous rappelle cette matière de couleur grise, tellement mystérieuse, qui nous a précédés de milliards d’années. Et c’est ce gris qui change de couleur de minute en minute, avec les rayons du soleil, cela crée le mystère de ce lieu.

Jorge, un ami argentin, pédiatre, venu avec ses amis, a lui aussi senti qu’il y avait beaucoup d’énergie dans ce lieu. Il était venu filmer une messe, et il a été pris par l’énergie du lieu, de sorte qu’il a dit : j’ai rarement vécu un moment aussi fort que ce matin de l’Ascension, au milieu de ce peuple. Et avec ses 3 caméras, il a vidé toutes ses batteries, avant même le milieu de l’Eucharistie.

Ce jour-là, avec une voix rauque, entamée par pere-pedro-akamasoa-ascension-10le rhume, mais avec un micro qui portait et résonnait loin (car on pouvait nous écouter à 1km !), j’ai insisté, devant mes frères présents, la plupart étudiants et ouvriers, sur le fait que nous sommes là pour continuer à créer une vie plus juste, plus fraternelle et plus solidaire, avec ce Jésus qui a disparu devant nos yeux. Cet homme qu’on ne voit plus, et en qui pourtant nous croyons, et au nom duquel nous avons été baptisé.

Un peu à l’image de l’Ascension, j’ai demandé aux gens de tourner leurs yeux vers le ciel, ce jour-là très pur, et ensuite, j’ai repris les paroles de l’Ange : pourquoi regardez-vous le ciel, quand il faut vous occuper de votre famille, de vos enfants, de votre village, et proclamer avec votre vie l’amour de Dieu pour chaque être humain ?

Père Pedro Akamasoa, Ascension 2016

Nous aussi nous vivons sous le régime de croire sans voir. Notre foi manifeste une confiance et un don total et absolu en un Dieu d’amour que nous n’avons jamais touché, en Jésus que nous n’avons jamais vu de notre vie, mais en la présence duquel nous croyons, dès que 2 ou 3 se réunissent en son nom, comme lui-même l’a dit.

Quand ce sont 10 000 frères et sœurs qui sont réunis dans la foi en Jésus et en son message, nous devrions sentir davantage, toucher, voir cette entraide et cet amour entre nous.

Nous avons déjà combattu l’extrême pauvreté, l’égoïsme, le chacun pour soi, l’anarchie pendant 27 ans. Ce combat peut être continué, aussi longtemps que l’homme sera le prédateur de son frère, à condition que nous ayons cette énergie, cet amour, cette foi, cette union entre nous, qui est don et grâce de Dieu.Père Pedro Akamasoa, Ascension 2016

Quand on voit un peuple si nombreux, soudé, si uni ensemble, cela frappe tout le monde, interpelle, saisit le sentiment humain de n’importe quelle personne sur terre, même si elle a un cœur de pierre.

Et j’ai insisté là-dessus : nous sommes un peuple qui vit de cette union, de cet effort, de cette justice. Bien sûr rien n’est parfait, mais nous sommes orientés par ce désir d’être plus vrai, plus juste et plus fraternel. Et tout doucement nous avons réalisé cela, avec des hauts et des bas.

Ce qui est incroyable, c’est que cette unité nous fait vivre. Les gens qui passent, en effet, voyant cet amour réciproque que nous vivons, nous aident, et partagent avec nous une partie de leurs richesses, afin que nous puissions travailler, même si c’est avec 1€ par jour, pour donner un avenir à nos enfants.

pere-pedro-akamasoa-ascension-13Par exemple, après ce jour-même de l’Ascension, un frère algérien, musulman, a partagé avec nous un repas, et nous a donné une enveloppe avec une somme très conséquente : 1 000 jour de travail pour un ouvrier !

Quand il y aura moins de corruption, de gabegie, plus de justice dans ce pays, on pourra rêver d’avoir un salaire plus juste, et plus adéquat aux besoins de la vie, et ainsi élever notre niveau de vie. Parce que la vie est difficile dans le monde entier, et aussi en Afrique. Mais pour le moment, l’urgence est de préparer l’avenir de nos enfants. Les standards de la commodité passent au second plan.Père Pedro Akamasoa, Ascension 2016

A 9h, la célébration était finie, et tout le monde s’est dispersé, dans la joie et le bonheur d’avoir vécu un moment spirituel très fort. C’est cette force spirituelle, cette Parole de Dieu que nous avons accueillie dans nos cœurs qui nous pousse à nous occuper de nos enfants et de nos prochains, les pauvres et les oubliés de notre société.

 

Voici quelques photos qui parlent de cette fête l’Ascension !

 

Visite à l’Ecole Supérieure de Formation Pédagogique d’Akamasoa

Cela faisait déjà plusieurs mois que les élèves de 1ère et 2e année, ainsi que leurs professeurs, m’avaient invité à dialoguer avec eux, à passer une demi matinée à parler à bâtons rompus.Père Pedro, école, éducation à AkamasoaNotre Ecole Supérieure de Formation Pédagogique, construite et inaugurée en 2013, compte aujourd’hui 63 élèves en 1ère année et 52 élèves en 2e année, soit au total : 115 élèves, qu’encadrent 7 professeurs hommes, et 7 professeurs femmes, parmi lesquels 3 professeurs français bénévoles, et 3 personnes qui travaillent aussi à l’administration.

Cette Ecole entame sa troisième année et on voit déjà augmenter le nombre d’étudiants, dont plus de la moitié vient d’en dehors d’Akamasoa et de plusieurs régions de l’île. Cela correspondait à notre orientation : nous avons voulu dès le début ouvrir cette Ecole de Pédagogie à tous ceux qui aiment l’éducation et qui veulent former les enfants et les jeunes malagasy.Père Pedro, école, éducation à Akamasoa

Ce 3 mai, nous nous sommes réunis au dernier étage du bâtiment, où se trouve une grande salle de fête, et où se déroulent habituellement les soutenances de fin de 2e année.

Disposés en demi-cercle, les 115 élèves m’ont reçu et accueilli, après que Mme Monique la directrice de l’Ecole m’eut souhaité la bienvenue.

Préalablement ils m’avaient fait parvenir 41 questions, de tout genre, dont voici un échantillon :

Depuis combien de temps êtes-vous à Madagascar ?

Pourquoi avez-vous choisi Madagascar et pas un autre pays ?

Est-ce que vous avez étudié la langue malagasy ?

Est-ce que vous voyez une amélioration dans les villages d’Akamasoa, au niveau de l’entraide et de la solidarité entre les familles pauvres ?

Avez-vous toujours eu la vocation de prêtre ?

Pourquoi avez-vous créé l’association Akamasoa ?

Est-ce que l’association travaille seulement dans la province d’Antananarivo, ou aussi dans l’intérieur du pays ?

Quelle a été votre première impression en voyant la pauvreté à Madagascar, surtout les enfants ?

Puisque tout le monde doit mourir, croyez-vous qu’Akamasoa sera toujours pareil ?

A votre avis, est-il possible qu’une des personnes que vous avez aidée, soit en mesure de vous remplacer ?

Est-ce que durant 27 ans d’Akamasoa, vous avez vu une évolution ?

Comment voyez-vous les jeunes d’Akamasoa : y a-t-il un espoir pour qu’ils prennent la relève un jour ?

Père Pedro, école, éducation à Akamasoa

Seriez-vous prêt à ouvrir un compte Facebook pour vous mettre en relation avec les jeunes de Madagascar et de l’extérieur ?

Pourquoi êtes-vous entré dans la congrégation de Saint Vincent de Paul ?

Avez-vous pensé qu’un jour le peuple d’Akamasoa prierait si nombreux ?

Qu’est-ce qui vous a décidé à laisser votre famille et à partir si loin, à Madagascar ?

Aviez-vous déjà senti dans votre jeunesse cet appel à l’amour, à l’humilité et au service ?

Il y a encore beaucoup de gens qui ne regardent que leur propre profit et bénéfice ; devant cet égoïsme, quelle attitude prenez-vous ?

Qu’est-ce qui vous décourage encore dans l’association Akamasoa ?

Pourquoi les jeunes, à tous les niveaux, n’osent pas vivre l’éducation et les valeurs qu’ils ont reçues ?

Est-ce un malagasy ou un expatrié qui vous remplacera un jour ?

Pourquoi avoir laissé Vangaindrano et être venu à Antananarivo ?

Et pourquoi la plus grande partie de vos coéquipiers sont des femmes ?

Autant de questions que j’ai prises dans leur ensemble, et auxquelles j’ai essayé de répondre pendant 2h de temps avec les étudiants et les professeurs.

J’ai tout de suite été très impressionné par la joie avec laquelle ces élèves m’ont accueilli. D’emblée, j’ai vu qu’ils étaient intéressés d’écouter et de recevoir.

Père Pedro, école, éducation à Akamasoa

En ayant face à soi des jeunes qui manifestent des sourires dans leurs yeux, des visages heureux, et qui sont bien dans leur peau, c’est certain qu’on n’a pas vu passer ces 2h de temps ensemble ! J’ai constaté qu’il y avait là une soif d’apprendre l’histoire d’Akamasoa, les besoins actuels,… et surtout quelle solution miracle je pourrais inventer aux problèmes d’aujourd’hui !

A tout moment je voulais faire comprendre aux jeunes que rien n’est hors du commun dans ce qu’on fait, rien d’extraordinaire. Tout est basé sur l’amour, sur le sérieux du travail, l’effort et la responsabilité. Et avec cet amour, cette persévérance et cet esprit de responsabilité, des miracles peuvent se réaliser au quotidien.

Je les ai aussi beaucoup encouragés à aimer ce métier d’enseignant et d’éducateur, ce métier tellement formidable, qui consiste à aider les jeunes, à leur faire découvrir leurs propres richesses, leurs propres talents, et les mettre au service de la communauté. Combien ce rôle est important aujourd’hui, avec les jeunes actuels, parfois tellement désorientés, déboussolés dans les technologies et le monde du profit où ce qui est important, c’est le résultat, qui plus est immédiat.

Nous sommes persuadés à Akamasoa qu’il y aussi la place pour créer un oasis où les gens sont heureux de vivre ensemble, s’entraider, se respecter et s’aimer, et créer une ville où le respect des personnes, des biens et l’esprit de service soient les piliers du vivre ensemble.Père Pedro, école, éducation à Akamasoa

Le profit ne peut être la seule force qui fait avancer le progrès. Il y a aussi le savoir vivre ensemble, être heureux ensemble, même si on vit de façon plus sobre, plus simple.

J’ai aussi encouragé ces étudiants à accepter d’aller dans la campagne, au bout de Madagascar, car là aussi il y a des jeunes qui ont soif de progrès, d’évoluer dans la vie. Et les futurs éducateurs doivent accepter d’aller au bout de l’île, même là où il n’y a pas beaucoup de route, des conditions de vie rudimentaires. Car là aussi on trouvera des personnes qui ont du cœur, un esprit, des personnes qui aiment leurs enfants et leur terre. Et là aussi il faut faire évoluer et progresser les frères et sœurs de cette région.

Je les ai encouragés à baser tous leurs efforts dans cet amour que Dieu nous a donné à travers l’Evangile et les Ecritures, et par l’exemple de Jésus de Nazareth, l’homme que j’ai suivi moi-même à partir de l’âge de 15-16 ans et qui m’a poussé à aller jusqu’au bout du monde, à vivre cet esprit de fraternité et d’entraide entre les personnes, les peuples et les nations.Père Pedro, école, éducation à Akamasoa

Notre discussion s’est ouverte et terminée par un chant. J’ai donné la bénédiction, en les encourageant à continuer de lutter dans la vie, avec cet esprit de joie et de service que je voyais dans leur regard et leur visage.

J’ai remercié Mme Monique qui gère l’Ecole Supérieure de Formation Pédagogique avec beaucoup d’amour, de respect, sérieux et solidarité. De même tout le corps de professeurs, qui ont beaucoup d’expérience, sont très proches des étudiants et au sein duquel règne une très bonne entente. On sent que c’est une Ecole Supérieure où tous ont envie de donner le meilleur : les professeurs à leurs étudiants, et ces derniers qui veulent profiter de leur temps d’études afin de s’enrichir le plus possible de l’expérience de leurs professeurs aînés.

C’est vrai, une institution marche quand l’exemple est donné d’en haut. L’opposé de ce qu’on voit actuellement au niveau de l’état actuel de la Nation.

A la fin nous avons fait une photo ensemble devant les escaliers du beau bâtiment de l’école pédagogique.

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1er mai à Akamasoa

Cette année le 1er mai est tombé un dimanche, et nous avons célébré avec beaucoup de joie cette fête du travail !

Père Pedro Akamasoa 1er mai

Tout au début d’Akamasoa, nous célébrions toujours les fêtes du 1er mai, parce qu’il fallait encourager les gens à sortir de l’assistanat et de la mendicité. A l’époque nous invitions tous les villages, tous les lieux de travail, à amener leur propre pancarte et à prendre la parole pour encourager leurs camarades à l’effort, à la responsabilité, à bien faire leur travail !

Et maintenant on peut dire qu’on a réussi à changer cette mentalité d’assistanat, puisque chaque fois que je sors dans un village, les gens me disent : « mon père, donne-moi un travail ! » Et non plus : « mon père, donne moi de l’argent… »

Un grand pas a été accompli avec les familles habituées autrefois à quémander.

Mais aujourd’hui puisque le 1er mai tombait dimanche, nous avons voulu nous rappeler de ces grandes fêtes que nous faisions, et différents groupes de travail des différentes corps de métiers ont amené leurs pancarte : carrières, maçons, menuiseries, ainsi que les différentes écoles d’Akamasoa.

Voici quelques uns des messages que les enfants, adultes, hommes et femmes ont voulu faire passer à tous :

 Je veux respecter le travail parce que c’est un don de Dieu et qu’il me donne un avenir

J’aime mon travail parce que cela donne un avenir à mes enfants

Travail, prière et lutte

Le travail est un don de Dieu

Mon travail assure mon lendemain et je le ferai avec prière et de bon cœur

Que je fasse de mon enfant et du travail de mes mains mon devoir

Les femmes de la décharge prient et travaillent pour faire vivre leur famille

Père Pedro Akamasoa 1er mai

Pendant l’homélie, nous avons donné la parole aux hommes et femmes qui sont venus encourager leurs compagnons à continuer l’effort de 27 ans, parce que cet effort doit continuer plus que jamais. Les étudiants aussi ont pris la parole, et parmi eux un jeune garçon qui a insisté : « si vous voulez avoir un avenir, ne touchez pas à la drogue ! »

Père Pedro Akamasoa 1er mai

Durant l’homélie, je me suis aussi adressé aux frères européens présents qui ont un salaire normal dans leur pays, et je leur ai dit qu’ils avaient devant eux 8 000 adultes, jeunes et enfants, dont très peu avait mangé le matin, et que les ouvriers qui travaillent ici ne gagnent qu’1 ou 2€ par jour.

Cet écart de salaires entre les pays du Nord et les pays du Sud, ces inégalités entre eux, crient au ciel, et cela quelqu’un doit les corriger, certainement les Nations Unies, afin que chaque être sur terre puisse vivre même s’il ne trouve pas de travail et que celui qui travaille ait un salaire lui permettant de vivre décemment.

Et surtout, qu’il n’y ait pas entre les plus hauts et les plus bas salaires, un rapport de 1 à 500 comme c’est le cas aujourd’hui, mais une différence de 1 à 3, peut-être. Car là où il y a trop d’argent donné à certaines personnes, dans d’autres endroits et pour des millions, il n’y a rien, pas même de quoi faire vivre leur famille.

Ces inégalités de l’économie mondiale sont un défi en chemin, mais il reste beaucoup à faire. 1 milliard de personnes souhaitent que ce chemin et ces décisions administratives et solidaires, se fassent plus vite, car beaucoup meurent par manque de soins, de logement digne, de repas, de tout ce qui est nécessaire pour la vie.

Une autre voix qui ne cesse de s’élever est celle du pape François et de ses prédécesseurs qui ont toujours lancé un appel au respect des travailleurs, afin d’assurer à tous les habitants de la terre un salaire digne. Parce que le travail et le fruit du travail ne devraient jamais servir que pour enrichir une minorité, mais ils devraient être partagés équitablement entre ceux qui créent le travail et ceux qui le réalisent.

A Akamasoa aujourd’hui, nous avons pu toucher de la main que le travail, quand il est respectueux et que les ouvriers eux-mêmes se sentent respectés et responsables des décisions, ce genre de travail peut unir et réjouir les gens.

Et c’est ce que nous avons vécu pendant 3 heures.

Père Pedro Akamasoa 1er mai

Avant la fin de la messe, nous avons chanté plusieurs chants où on exalte le travail, où on manifeste que le travail n’est pas une charge, une punition, mais la continuation de la création que Dieu a commencée il y a des millions d’années.

Puisse Dieu bénir les ouvriers du monde entier, afin que personne ne soit exploité et que tous puissent être heureux dans leur travail et réussissent à faire vivre leur famille.

Et que ceux qui détiennent le pouvoir économique et politique, législatif puissent créer des lois sociales qui donnent à tous les ouvriers du monde entier un avenir meilleur.

A Akamasoa, toutes ces choses ne sont pas des paroles ou des bons souhaits, mais une réalité pour des milliers de personnes qui travaillent, prient, et préparent l’avenir de leurs enfants.

Et tout cela, grâce à tous nos bienfaiteurs de toutes les latitudes qui sont sensibles à aider leurs frères et sœurs à avoir un travail et qui participent avec une aide régulière tous les ans.

Merci à eux pour leur confiance et leur persévérance !

Drames quotidiens

Nous sommes confrontés tous les jours à deux grands problèmes.

Les cas spéciaux

Tout d’abord, les personnes qui viennent chercher de quoi vivre, de la nourriture et nous exposer leurs problèmes, leur drame familial. Souvent une mère seule avec 4, 5, 6 ou 7 enfants, et qui toute seule ne peut les faire vivre, ni les soigner, et encore moins les scolariser.

C’est ainsi que nous avons pris en charge 450 familles qui ont des problèmes particuliers, des drames uniques ; nous les avons appelés des cas spéciaux. Cela veut dire que la maman toute seule ne peut subvenir aux besoins et pour qu’elle puisse retrouver un minimum d’esprit et ne pas céder au découragement, nous l’aidons en lui donnant un travail léger (dans l’assainissement ou jardinage de nos villages) et ensuite avec un octroi hebdomadaire de riz, afin que ses enfants puissent manger à leur faim et, bien sûr, aller à l’école.

Ces cas spéciaux nous coûtent cher, puisque ce sont des drames uniques qui doivent être résolus par une aide ponctuelle et sur le long terme, sans que ces personnes puissent produire quelque chose pour la vente, ou entraîner une rentrée d’argent pour la communauté.

Bien sûr, parmi ces cas, se faufilent aussi des personnes qui au début avaient caché leur vrai caractère ou tempérament. Et c’est pour cela que tous les ans, Akamasoa revoit chaque cas, afin de voir si c’est un cas qui mérite d’être encore aidé, ou si la personne a déjà acquis une autonomie, et peut se prendre en charge elle-même.

Une famille vient demander une aide à Akamasoa

Une famille vient demander une aide à Akamasoa

Des aides destinées à permettre l’autonomie

Le but central de ces aides, en effet, c’est que ces familles, après un temps, deviennent autonomes. Mais acquérir cette autosuffisance demande d’abord que nous les aidions !

Puisque dans le pays, de nombreux politiciens, pour avoir des votes, mettent les personnes dans la dépendance, et les gardent dans cette situation pour les dominer et conserver leurs voix…

Nous tenons à cette autosuffisance, car il s’agit de la dignité de la personne humaine. Mais il ne suffit pas de le dire, et d’en faire un slogan politique. Cette autosuffisance, il faut aussi convaincre la personne qu’elle est nécessaire, la persuader de s’engager dans ce combat pour tenir debout. Mais des habitudes passées sont parfois très ancrées dans la personne, et elle n’entend pas ce que nous lui disons à propos de la dignité.

Cependant, quand nous voyons que des gens, de faibles et malades qu’ils étaient au début, ont retrouvé la santé, nous leur demandons de faire un travail plus important, à la carrière par exemple, pour qu’ils puissent produire quelque chose et obtenir un salaire. Cela serait le signe concret qu’ils sont devenus autosuffisants !

Une famille vient demander une aide à Akamasoa

Une famille vient demander une aide à Akamasoa

Des refus violents

Mais parfois, parmi ces gens qui ont retrouvé une santé normale, certains refusent catégoriquement d’accepter la charge d’un travail normal et insultent les responsables qui font l’enquête.

Cela signifie que ces personnes prennent Akamasoa comme une entité d’Etat, de laquelle ils attendent une aide sans aucune contrepartie, sans aucun devoir de leur côté. Et de nombreuses personnes menacent les responsables, si jamais elles se voient couper les aides qu’elles recevaient jusqu’alors.

Il est certain que nous ne cédons ni aux menaces ni au chantage, et nous prenons le temps qu’il faut pour ramener ces personnes à la raison, les reconduire aux responsabilités qu’elles ont devant leurs enfants, afin que ceux-ci ne s’habituent pas à quémander et à recevoir des choses gratuitement. Et Dieu seul sait combien de paroles dures doivent encaisser les responsables !

Il arrive aussi que ces personnes m’invectivent de façon blessante, en disant, par exemple : « toi mon père, tu n’écoutes plus les plus petits ! »

C’est certain que sur le coup de telles paroles, on se sent mal à l’aise, blessé, on a envie de répondre par la même violence. Mais on sait aussi que ces personnes ont vécu tellement longtemps dans la rue, enfermées dans des habitudes et des astuces dont elles étaient victimes, qu’il est difficile de les leur enlever par un coup de baguette magique.

Des blessures longues à guérir

Dans ces situations, il faut rester ferme et en même temps comprendre leur détresse. Nous sommes engagés à tout faire, ici à Akamasoa, pour éduquer les gens, leur faire prendre leurs responsabilités, les faire réfléchir sur l’avenir de leurs enfants, tout en ayant l’esprit de travail, de vérité et de respect envers les normes et les lois que nous avons créées dans notre communauté.

Les gens qui passent, certainement, ne pourront jamais imaginer que derrière un sourire, se cache une âme violente, blessée, qui se croit toujours victime et qui réagit au moment venu avec beaucoup de brutalité.

L’expérience avec les pauvres nous montre que l’accompagnement, le dialogue, le fait de les aider à dégager toutes les blessures de vie qu’ils portent en eux, est autant nécessaire que l’aliment et la maison qu’on leur donne. Car ces familles doivent comprendre qu’on est là pour changer, devenir meilleur, plus responsable devant sa famille et la communauté.

Dans la rue, la loi qui prévalait était la loi du plus fort, la loi de la jungle. Et nous avons mis quelques fois une dizaine d’années, voire plus, avant de pouvoir changer des cas assez nombreux de ce genre, et cela je vous assure que ça use vos nerfs, ça use votre patience, votre idéal et tout votre être !

Mais on tient toujours debout, avec les responsables de l’accueil, car la vérité et l’amour qui nous unissent sont plus forts que l’astuce, la méchanceté et l’égoïsme qui avaient enchainé la vie de nos frères dans la rue.

Un père et ses deux filles viennent chercher secours à Akamasoa

Un père et ses deux filles viennent chercher secours à Akamasoa

Un accueil sans relâche pour chacun

Ce travail d’accueil, d’aide pour les familles en détresse, nos « cas spéciaux », nous devons le revoir continuellement, puisqu’il s’agit de l’avenir de ces enfants.

Nous pouvons dire que rares sont les cas où nous avons invité les gens à partir d’Akamasoa, parce qu’ils ne voulaient pas du tout accepter l’état d’esprit qui est le notre, et qui consiste à mettre les gens debout, à refuser un assistanat incompatible avec le combat pour la dignité humaine.

Sur 27 ans de travail, peut-être avons-nous invité une dizaine de familles seulement à nous quitter, mais à chaque fois aussi, nous les avons aidées dans leur départ. Nous n’avons jamais mis une famille à la rue. Mais pour empêcher qu’elle fasse tâche d’huile, qu’elle décourage les autres et passe le virus de la paresse et de l’assistanat, nous avons déjà été obligé de nous séparer de quelques unes d’entre elles.

Et ce problème continue.

Nous venons de faire cette semaine une révision des cas spéciaux. Nous avons invité des dizaines de familles à quitter leur situation de cas spécial pour occuper un travail normal, afin de pouvoir elles-mêmes faire vivre leurs familles.

Comme on pouvait s’y attendre, cela ne s’est pas passé sans conflit ni paroles blessantes. Mais nous croyons que l’amour que nous portons à ces familles et ces enfants est plus fort que ces crises passagères que nous devons subir, et que ces personnes réussiront à leur tour à prendre leurs responsabilités, à se battre pour leur avenir et à retrouver leur dignité d’être humain. Cela ne se fait pas immédiatement…

 

Les malades

Un autre problème aussi très difficile est le soin des malades. Nous avons beaucoup de malades qui n’ont aucun moyen pour subvenir à leurs maladies, et qui sont obligés de venir demander une aide spéciale aux responsables d’Akamasoa.

Les maladies n’épargnent personne, pas plus les enfants, que les jeunes ou les personnes âgées, les mères ou les pères de famille.

La maman de cette famille du village Antaninarenina d'Akamasoa a aussi bénéficié d'une opération. Grâce à Dieu elle a guéri, et aujourd'hui elle peut s'occuper de ses enfants et de sa mère

La maman de cette famille du village Antaninarenina d’Akamasoa a aussi bénéficié d’une opération. Grâce à Dieu elle a guéri, et aujourd’hui elle peut s’occuper de ses enfants et de sa mère

Nous recevons également beaucoup de demandes de malades en provenance de la Capitale, qui doivent être opérés d’un cancer ou d’autres maladies et qui n’ont aucun moyen de payer cette opération.

Quand c’est une personne de l’extérieur qui vient nous demander une telle aide, nous faisons une visite à domicile pour voir si son histoire est vraie, et si réellement elle n’a aucun moyen de payer cette opération.

Mais quoi qu’il arrive, quand nous voyons ces malades qui nous supplient, nous ne pouvons pas refuser l’aide qu’ils nous demandent.

D’un autre côté, nous savons aussi qu’en aidant les gens de la ville, cela fait courir la nouvelle qu’Akamasoa peut aider tous les malades de la Capitale, ce qui n’est pas vrai et en même temps impossible.

Alors chaque fois que nous aidons une famille qui ne vient pas d’Akamasoa, nous lui disons de tenir secret cette aide qu’elle a reçue, de ne parler à personne, parce que sinon nous aurons à recevoir des cas pareils quotidiennement.

Une équipe dédiée

Concrètement, nous faisons un suivi de tous nos malades en ville. Il y a à peu près 18 malades dans plusieurs hôpitaux d’Antananarivo, à qui il faut emmener un repas par jour, puisque l’hôpital ne donne rien. 6 personnes d’Akamasoa vont partager la nourriture tous les jours avec eux, dans leurs chambres d’hôpital. 4 personnes font la cuisine pour eux quotidiennement. Et 7 chauffeurs se relaient jour et nuit, pour la permanence de nos 2 ambulances, entre Manantenasoa et Andralanitra. Au total, ce sont 16 femmes et 1 homme qui composent l’équipe de soins pour les malades dans les hôpitaux.

Cela a un coût important, mais nous voyons que cela marche, redonne force et espoir aux malades, et surtout les guérissent, même si trop souvent encore, des maladies finissent par le décès.

Cette semaine, ce sont déjà 4 personnes qui sont décédées : 2 enfants, une personne âgée et un père de famille.

Une sécurité sociale et nationale absente

Les personnes qui travaillent à Akamasoa participent avec une petite somme pour la caisse maladie. C’est certain que cela ne peut pas suffire pour leurs soins, mais puisque nous sommes des milliers, cela aide, et Akamasoa subventionne tout le reste.

L’achat des médicaments est hors de portée de 92 % des malgaches, qui ne peuvent pas plus se permettre une opération.

Les soins des malades d’Akamasoa et des malades de l’extérieur est une charge difficile du point de vue humain, car il faut réagir vite, avoir de la compassion avec celui qui veut guérir et vivre, et ensuite, une charge lourde car nous dépensons beaucoup pour chaque cas.

Cette sécurité sociale est un droit de tout être humain qui habite sur Terre. Mais à Madagascar c’est encore un privilège et malheureusement très rares sont ceux qui peuvent bénéficier de cette aide sociale pour guérir et vivre. Beaucoup de familles malagasy perdent tout leur avoir pour seulement financer les dépenses de santé de leur maman ou de leur papa. D’où l’urgence de créer une sécurité sociale minimale pour chaque citoyen de l’île.

Nous espérons que le nouveau gouvernement aille dans ce sens.

A tous les bienfaiteurs à travers le monde qui nous ont fait confiance et nous donnent leur aide annuelle, sachez qu’une grande partie de vos dons sert à aider ces familles qui ont un drame important, et qui tomberaient, sans cette aide, dans une extrême pauvreté sans retour, où ils ne pourraient plus se ressaisir.

Ainsi des malades de tous genres et âges.

Cela fait aussi partie du miracle d’Akamasoa.

Deux enfants qui ont retrouvé une nouvelle vie à Akamasoa

Deux enfants qui ont retrouvé une nouvelle vie à Akamasoa

Une équipe d’ORF (télé autrichienne) de retour à Akamasoa 15 ans après !

Nous avons reçu une nouvelle équipe de la télévision autrichienne ORF (Österreichischer Rundfunk) qui est venue réaliser son second film documentaire sur le travail d’AKAMASOA ; le premier datait de 15 ans en arrière !

Les membres de l’équipe ont voulu témoigner des changements réalisés à Akamasoa durant ce temps. Ils sont arrivés mardi 12 avril et repartent le mardi 19 avril.

Mirko BOGOTAJ est le seul de l’ancienne équipe. Il a dit : « je ne reconnais plus rien à Akamasoa tellement cela a changé ! »

Il a ajouté : « nous voulons avec nos images rassurer et encourager les gens à aider les pauvres qui se sont mis debout,  pris en charge et ont commencé à travaillé et à scolariser leurs enfants. »

Les deux cameramen sont venus avec des moyens très modernes, notamment avec un drone qui leur a permis de prendre des photos des villages d’Akamasoa.

Nous sommes contents que des technologies modernes puissent servir pour faire connaître et faire savoir le travail qui est réalisé par les familles, autrefois sans abri, pour construire une vie meilleure et plus digne.

Mirko, aujourd’hui à la messe de dimanche, a dit devant 9000 personnes :

« Je m’engage à faire connaitre davantage ce travail d’Akamasoa pour que vous puissiez continuer ce combat contre la pauvreté et la dignité des enfants. Je ne crois pas que je vivrai une autre messe aussi forte, aussi prenante et joyeuse que celle que je viens de vivre aujourd’hui. Sachez que notre histoire avec vous continuera. »

Nous sommes heureux de voir que des journalistes reviennent après tant d’années refaire des images d’un travail réalisé il y a si longtemps.

Maintenant nous pouvons dire que seulement 3 télévisions ont fait cela : TF1, ORF, ainsi que la télévision slovène.

Elles peuvent témoigner de l’effort et du travail réalisés par Akamasoa.

Et tous ceux qui nous aidés à sortir de l’enfer, à voir la lumière et à vivre dans l’espérance, peuvent être rassurés : leur aide est arrivée à bon port et aux plus pauvres !

Voilà quelques photos de l’équipe d’ORF et leurs noms :

Daniel BOGOTAJ

Franz SCHMATZ

Maja BOGOTAJ

Mirko BOGOTAJ

Il n’y a pas de plus grand bonheur que de partager avec ceux qui vivent si sobrement, comme ce peuple de Madagascar…

Réunion du Fokonolona à Akamasoa

Une tradition difficile à maintenir

Il y a une tradition à Madagascar qui consiste à réunir la communauté villageoise à chaque occasion qui se présente, afin de régler les problèmes de la vie collective.

Cette réunion du Fokolona est une des pierres angulaires de la bonne entente des membres d’une communauté, puisqu’alors tout le monde a la possibilité de parler, d’exprimer ses points de vue et ses souhaits, sans que personne ne puisse l’en empêcher.

Cette belle tradition est toujours en vigueur dans le pays. Mais malheureusement dans des endroits difficiles, où la mentalité du chacun pour soi commence à gagner le cœur des personnes, il est difficile de concrétiser ces réunions.

D’abord, parce que tout le monde n’y vient pas. Ensuite, parce que certains y viennent ivres, monopolisent la parole, et tournent en dérision la réunion.

Enfin, parce que ce qui est décidé n’est pas appliqué, par manque d’une autorité morale qui veille à la réalisation des propositions faites.

Une habitude à Akamasoa

A Akamasoa nous avons toujours réuni la communauté par villages. Et quelques fois aussi, des réunions d’hommes seulement, pour les responsabiliser davantage.

Ce matin, nous avons fait une de ces réunions avec les ouvriers maçons et main d’œuvre qui construisent les logements à Akamasoa.

Ils étaient à peu près 400 ouvriers que nous avons réunis, tout d’abord pour leur remonter le moral, et ensuite pour les faire réfléchir sur les engagements pris il y a un quart de siècle.

On sent que ces réunions doivent se faire régulièrement puisque cela aide à pacifier et unifier notre communauté. Or depuis le début de l’année nous n’avions pas réuni les maçons,  et aujourd’hui pour la première fois nous les avons rassemblés pour réveiller en eux l’union.

Et j’ai insisté plusieurs fois, durant mon intervention, sur le fait que c’est l’union qui fait la force, et que l’union est le fruit de l’engagement de tout un chacun.

J’ai souvent répété le slogan : un pour tous et tous pour un, et les proverbes malagasy : izay mitambatra, vato (ceux qui s’unissent sont forts comme la roche), izay misaraka, fasika (ceux qui sont divisés, sont comme du sable).

Mais l’unité et l’harmonie d’un groupe ne sera jamais acquise ;  sans cesse il faut la refaire, la reconquérir et la renforcer.

La responsabilité au travail

Ensuite j’ai parlé de leur responsabilité face à leur travail : il faut que leur travail soit bien fait, qu’ils l’aiment, et que fini, il devienne leur fierté, ainsi que la fierté de ceux qui nous ont aidés à réaliser nos rues, nos routes, nos écoles et nos maisons.

Le travail bien fini témoigne du sérieux du travailleur qui a fait cette œuvre.

Malheureusement on voit des hommes qui sont très distraits dans leur travail et la conséquence est que le travail est mal fait, ou à peu près, et cela démobilise la main d’œuvre qui constate les maçons absents à leur poste, et ce mauvais exemple tire vers le bas les plus jeunes.

Défendre la terre

Ensuite j’ai parlé sur la responsabilité et l’engagement à Akamasoa de chaque homme pour défendre le bien commun.

Autour de nos villages, rôdent des voleurs de terrain, qui cherchent à voler jusqu’au terrain qui appartient à Akamasoa, ou au diocèse d’Antananarivo. Les milliers de familles d’Akamasoa, qui ont en moyenne 4 ou 5 enfants, auraient bien aimé, elles aussi, s’accaparer des terres autour de nos villages ! Mais elles ont respecté la loi votée ensemble : ne jamais prendre possession d’un terrain qui appartient à autrui.

Akamasoa a acheté la plus grande partie de ses terres pour construire ses villages, et ce, au terme de beaucoup d’efforts et de souffrances. Et une partie a été cédée par l’Etat malagasy, étant des terres domaniales.

J’ai encouragé les hommes d’Akamasoa à défendre leur terre, et empêcher que la gabegie et l’anarchie s’installent à nos portes. Hier encore je parlais avec le commandant de brigade à côté de nos villages, pour lui demander de nous aider à repousser ces voleurs de terre, qui ne sont pas des pauvres, mais des gens malins payés par des gens qui ont des moyens, et qui s’accaparent des terres pour les revendre ensuite à des pauvres, afin de faire perdre la trace du vol.

Cet état d’anarchie nous fait mal, puisqu’il arrive à nos portes d’Akamasoa. C’est pour cela qu’aujourd’hui on a renforcé les esprits de chaque homme pour qu’il se sente partie prenante de la communauté et qu’il comprenne son devoir de défendre le bien public, et surtout la terre qu’Akamasoa a cédée aux familles les plus pauvres.

Je leur ai dit : en tant qu’Akamasoa, nous n’avons jamais cherché aucune bagarre avec personne. Nous avons toujours accueilli les personnes qui venaient demander secours à bras ouverts, avec respect et dignité. C’est autre chose de se voir attaquer par des bandes de jeunes, payés, qui sèment la peur et la violence pour s’approprier des terres qui ne leur appartiennent pas.

La dignité d’être humain

J’ai aussi réveillé leur fierté d’être homme courageux.

Combien de nos frères sont morts à cause d’une trop forte dose d’alcool ? Combien à cause d’une overdose de drogue ? On ne peut pas dire que ce soit la fierté de l’homme…Mais en revanche, c’est la fierté d’un homme d’exposer et donner sa vie pour le bien commun, de défendre son patrimoine, l’avenir de ses enfants, de sa famille et de sa patrie.

Dans un monde où les gens sont malnutris, mal payés, mal logés, mal soignés, il est certain que les gens ont tendance à baisser les bras et à devenir fatalistes, indifférents à tout ce qui concerne la vie communautaire.

Aujourd’hui à Akamasoa nous avons déjà gagné plusieurs batailles. Nous avons déjà des logements dignes, des espaces verts, un assainissement respectable, des écoles, des lieux de soin, de sport. Et bien que la vie soit toujours difficile, nous avons déjà de quoi être fiers. Contents des efforts faits et fiers du travail réalisé. Et aujourd’hui, il nous appartient de le défendre.

J’ai aussi insisté sur le proverbe malagasy : l’esprit fait la personne. Une personne qui n’a pas d’esprit devient insensible, voire une bête. Et c’est cet esprit là que le créateur nous a donné, nous devons le réveiller, le faire vivre et le nourrir tous les jours de la vérité, de la  justice, de la fraternité et du bien commun.

Le bon sens seul suffirait à nous orienter vers ces valeurs humaines et universelles !

Ce bon sens qui nous oblige aussi à prendre notre part de combat pour construire cette société à laquelle tous nous rêvons, une société où règnent le respect de chacun, le respect de la personne humaine, des droits de l’enfant et du bien public.

Convaincre, une tâche difficile

Cet effort de convaincre tout le temps est très difficile, parce qu’on ne peut pas parler calmement face à une foule, il faut que votre voix devienne votre arme de conviction. Des choses aussi importantes que la vie communautaire, la justice entre tous, cela ne peut pas s’imposer avec tiédeur et indolence.

C’est pour cela qu’après chaque réunion de ce genre là, puisque souvent nous n’avons pas de micro, je finis aphone !

Mais je suis content de voir les visages, durant la réunion d’1h, changer et se décontracter, devenir plus sereins, plus ouverts, plus confiants en eux-mêmes, et on sent qu’à ce moment là, ils étaient réceptifs. On sent qu’à ce moment on s’est retrouvé dans les mêmes ondes, et que le message est passé.

La preuve c’est qu’à chaque réunion, un homme se lève spontanément, car il a besoin d’exprimer le courage qu’il vient de découvrir en lui, et qu’il veut transmettre à ses frères, et s’écrie : le père a raison ! Il est temps qu’on se réveille, qu’on prenne notre part dans ce combat pour la justice et l’avenir de nos enfants

Et chaque réunion finit par des remerciements et un grand applaudissement.

Eh bien, nous avons gagné la bataille pour une ou deux semaines, et ensuite il faudra recommencer.

Sachez, vous qui nous aidez, que ce n’est pas facile !

Seul Dieu sait et a vu les efforts que nous avons déployés durant 27 ans pour convaincre nos frères pauvres de se mettre debout et retrouver dignité !

Et Le comble, c’est qu’on met autant voire plus d’efforts, pour convaincre ceux qui ont des moyens de nous aider à continuer ce travail !

 

NB : quelques photos de la réunion du vendredi 15 avril à Ambaniala et du samedi 16 dans le village de Cité Akamasoa Andralanitra.

Des jeunes oubliés, sans repères, victimes et déboussolés

Mardi 29 mars, en ce jour de commémoration des insurrections des patriotes malagasy qui demandaient l’Indépendance en 1947, les comités des 3 villages Akamasoa d’Andralanitra, Ambaniala et Ankadiefajoro, sont venus me voir pour une triste raison.

Avec eux, 9 jeunes, des garçons de 20 ans environ, dont 3 sont déjà mariés avec enfant, qui ont commencé à commettre des larcins en ville. J’avais été prévenu par les responsables quant à la dangerosité de ces jeunes qui, non contents de voler, font peur et menacent les habitants des villages d’Akamasoa, dans le cas où certains s’aventureraient à les dénoncer.

A Akamasoa nous ne tolérons pas les menaces. C’est pour cela que j’ai convoqué ces jeunes immédiatement après avoir pris connaissance de leurs faits. Et ce mardi matin, je les ai fait venir à Andralanitra pour les rencontrer face à face, les yeux dans les yeux, afin de dialoguer avec eux et essayer de comprendre pourquoi ces jeunes, après avoir grandi à Akamasoa, autour de la décharge bien sûr, mais dans cette famille solidaire que nous avons créée, sont tombés dans cet abîme de violence, de vol et de mensonges.

Et là, je me suis retrouvé devant des jeunes désorientés et victimes. J’ai vu dans leurs visages des enfants oubliés par leurs parents et la société.

 

Une situation incompréhensible

Le comble est qu’une maman de ces jeunes était présente : une maman qui comptait parmi ces 9 brigands, 3 de ses fils ! Une femme déjà âgée, épuisée par la dureté de la vie, que je connaissais très bien et qui m’avait toujours inspiré confiance, une personne calme et respectueuse, connue comme telle dans le village.

Je me demandais : comment cette mère a pu laisser ses 3 enfants se perdre dans la drogue, l’alcool, la prostitution, et ne pas réagir ? Et voilà ce que j’apprends : puisque ses enfants lui rapportaient un peu d’argent tiré de leurs vols, elle était satisfaite, et se taisait…

Quelques responsables parmi les comités de village, surtout des femmes, étaient présentes à cette rencontre, où j’essayais de regarder dans les yeux chacun de ces enfants. Car eux aussi, enfants d’Akamasoa, quand je venais jadis dans leur village, me prenaient la main pour m’accompagner et même, se bagarraient pour savoir qui, parmi eux, serait le plus proche de moi !

 

La confrontation avec les jeunes

Je leur ai demandé : « comment vous, à qui nous avons donné tant d’éducation, de formation, de bons conseils et en dépit de tous les encouragements reçus, vous avez pu dévier d’une façon si incompréhensible ? »

Ce sont des jeunes déboussolés et victimes qui m’ont répondu, disant : « Parce que nous cherchions du travail pour aider notre mère, nous avons quitté tout doucement les études. A l’invitation des éboueurs, nous sommes allés en ville sur les camions de la décharge pour trouver une occupation. Et c’est là que nous sommes rentrés en contact avec les jeunes des bas quartiers. Nous les avons accompagnés dans leurs vols, et nous avons commencé à vivre du mensonge, de l’astuce, et de la drogue locale, le rongony. »

Je leur ai dit : « Mes chers amis, tout ce que vous avez reçu à Akamasoa doit être encore vivant dans votre cœur, votre esprit ! » Et disant cela, je tapais fortement du poing sur la table à côté de moi, afin d’impressionner ces jeunes que je voyais ailleurs, rien qu’à leurs regards, comme s’ils étaient partis dans un autre univers, celui du chacun pour soi et de la survie. Mais une survie dans le monde de la perdition ! Ces jeunes qui hier encore étaient nos jeunes, mais qui se sont éloignés de nous et de notre travail, par l’esprit, la mentalité, la pensée, et aujourd’hui s’en trouvent très loin.

Vraiment, je cognais avec grand bruit pour les réveiller : « Nous sommes ici à Akamasoa ! Vos parents ne vous ont jamais dit d’aller voler, on vous a même toujours répété que c’était mal, et que nous ne tolérions pas ça ici. Réveillez en vous ces conseils et ces vertus qu’on vous a appris ! Elles sont bien encore en vous quelque part, enfoncées, encombrées ! Et qui est plus en ce jour, où l’on commémore les héros de votre Patrie, ceux qui ont donné leur vie pour que vous ayez une vie meilleure et plus digne! »

Et je frappai une nouvelle fois de mon poing sur la table.

« Si ces héros malagasy se réveillaient, et qu’ils vous voyaient, qu’ils voyaient à quel point vous êtes tombés dans la déchéance et l’abîme du mal, ils seraient tellement tristes qu’ils mourraient une seconde fois. »

Je parlais fort, mais en même temps je les regardais fraternellement, cherchant leurs yeux et leur cœur pour faire revivre en eux ces moments où, enfants, ils avaient été proches de moi, ces souvenirs qui ne sont pas anéantis à tout jamais, mais sommeillent encore quelque part.

Le comité aussi les a encouragés à revenir dans le droit chemin, et de même leurs parents présents.

A la fin, je leur ai demandé : « Regrettez-vous le mal que vous avez fait ? Pensez-vous demander pardon à vos parents, à tous les éducateurs, les responsables d’Akamasoa et à tous ceux qui ont souffert de vos actions ? »

Puis je leur ai dit de se lever, et que chacun dise son nom, et ce qu’il pensait faire désormais de sa vie.

Un par un, tous ont regretté et demandé pardon. Et chacun, après avoir demandé pardon, a formulé la même demande : « mon père donne-moi un travail afin que je puisse me sortir de ce mauvais chemin. »

Ce courage qu’ils ont montré pour reconnaitre leurs défauts m’a frappé, et dans leur assurance farouche j’ai compris qu’ils avaient été marqués et habitués à la vie dure de la rue.

 

Faute de travail, ils voleront pour survivre

Là, j’ai compris qu’il est facile de donner un conseil, ou de faire un sermon à un jeune qui a dévié et qui est seul dans la société, et sans travail. Mais que justement, c’est le fait de ne pas avoir un travail digne, régulier, qui les a poussés à aller dans la zone interdite, à s’élever contre la société qui les a vus naître.

Et en moi-même je me suis dit : je suis celui qui donne des conseils, qui encourage à changer ; mais si mon rôle s’arrête là et que je ne les aide pas à avoir un travail, alors je ne fais que la moitié du chemin avec eux. Car après ce pardon qu’ils ont demandé, dès demain peut-être, ils recommenceront à voler, parce qu’ils doivent vivre.

J’ai alors demandé aux jeunes de sortir un moment afin de parler avec le comité et les parents.

 

La responsabilité des dirigeants

« Vous voyez, leur ai-je dit, les jeunes qui n’ont pas de travail régulier et digne, qui leur assure le minimum d’argent pour avoir une vie décente, ces jeunes vont obligatoirement tomber dans le vol, le mal, et suivre les bandes de malfaiteurs qui se créent tous les jours en ville. »

Là aussi j’ai compris combien les responsables de l’Etat sont absents dans ce domaine de la création d’emplois pour leurs jeunes, et que c’est un examen de conscience que devraient faire tous ceux qui ont demandé d’être élus pour diriger le destin d’une Nation. Combien sont responsables tous ces dirigeants qui ne se soucient pas de leur peuple !

Pour ma part, je ne suis pas venu à Madagascar pour créer des emplois, devenir un entrepreneur et un patron.

Je suis venu en tant que frère de ma communauté de Saint Vincent de Paul, et pour servir mes frères les pauvres.

Mais nous avons été obligés, à Akamasoa, par la force des choses, par les plus pauvres qui mouraient de faim et de maladie, et par le bon sens et l’humanité, de créer des emplois et tant d’autres infrastructures pour sauver les enfants et leurs parents.

Cependant, nous ne pouvons pas entretenir des dizaines de milliers d’emplois ! Les quelques milliers que nous avons déjà créés nous permettent de parler et d’hausser la voix, et de crier fort aux responsables qu’il faut sauver les jeunes de ce pays, les aider à revenir à la société, pour qu’ils aient un avenir.

Car on ne peut pas laisser ces jeunes désorientés se perdre dans la drogue, le mal, l’indifférence, le chacun pour soi et, finalement, dans l’anarchie.

Les responsables de l’Etat ne peuvent pas se dédouaner trop facilement de cette responsabilité. C’est un devoir sacré d’un élu que de servir et préparer un avenir digne à ses propres enfants et jeunes. Et je suis écœuré de voir l’indifférence depuis des dizaines d’années face à ce problème, qui a produit toute cette instabilité dans la ville d’Antananarivo et dans le reste du pays.

Il ne faut pas être un diplômé de sociologie pour comprendre cela. Et je crois toujours qu’il n’est jamais trop tard, on peut toujours recommencer ce combat pour la justice sociale et la création de travail pour le peuple.

 

Après avoir discuté de ces choses avec le comité et les parents, j’ai rappelé les jeunes, et je leur ai dit : « Si vous demandez du travail, on va vous donner du travail ; mais pour un temps limité d’abord, afin que vous puissiez vous ressaisir. Et ensuite on verra, si vous voulez vraiment changer. Mais ça ne vous empêche pas, dans vos moments libres, de chercher un emploi à l’extérieur. »

Nous encourageons en effet toujours dans ce sens, la recherche d’emploi à l’extérieur, car il est impossible à l’infini de supporter cette charge de milliers d’ouvriers que nous avons pris à bras le corps par un devoir humanitaire. Mais notre action dans ce domaine devrait n’être que temporaire… dans l’attente que l’Etat s’occupe de ces jeunes, qu’il encourage la création d’entreprises et l’investissement extérieur.

Sinon, si l’Etat ne prend pas sa responsabilité dans ce domaine, c’est une société où les jeunes vont sombrer dans des bandes de voleurs que nous allons créer, des bandes qui sèmeront la panique et la peur dans tous les quartiers de la capitale et même dans les campagnes.

Ensuite j’ai demandé à chaque jeune de faire une déclaration par écrit de leur repentance, affirmant qu’ils ne voleront plus et qu’ils s’engagent dès maintenant à travailler.

« Si vous ne changez pas, leur ai-je dit, nous ne pourrons pas cautionner vos mauvaises actions, et nous serons obligés, à contre cœur, de vous conduire auprès des responsables des services de l’ordre de l’Etat. Car nous ne pouvons pas accepter qu’à Akamasoa se forment des groupes de malfaiteurs ; c’est un déshonneur et le contraire de ce que nous avons poursuivi. Et surtout cela va à l’encontre de la culture des ancêtres que nous voulons suivre. Parce qu’au lieu de la solidarité et de l’entraide, c’est la violence et la peur qu’on instaure. »

 

Notre responsabilité devant les jeunes

Je tenais à faire cette réflexion afin que tous ceux qui nous aident savent que devant 14 000 jeunes et enfants dans nos écoles, nous avons un devoir sacré d’empêcher qu’une minorité infime et violente puisse, à Dieu ne plaise, semer le désordre, apporter une mauvaise réputation pour ces milliers de jeunes qui veulent étudier, qui aiment leur Patrie, respectent leurs parents et veulent se sortir de l’extrême pauvreté par les études, les sacrifices, la solidarité, l’amour, et le respect de la culture malagasy.

Nous sommes tous responsables de nos jeunes. Aucun pays ne peut se vanter d’avoir une jeunesse sans problèmes, sans drogue, sans vie facile, sans jeunes désorientés et perdus dans le labyrinthe de la vie. Responsables devant eux quand ils sont enfants, puis adolescents, car à chaque étape il faut les aider à trouver un sens à leur vie.

Ici, à Madagascar, à Akamasoa, que faut-il faire devant ces jeunes qui ne connaissent pas leur voie et qui sont trompés ?

Notre rôle est multiple : éducateur, prêtre, parents et ensuite, comme des entrepreneurs et à la place de l’Etat, donner du travail. Le travail, encore, n’est pas le problème. Du travail, il y en a ; mais l’argent ? Car pour ces 9 jeunes à qui on donne une occupation et la chance de se relever, il faudra trouver à la fin de la semaine l’argent pour payer leurs salaires.

Il faut que les gens sachent combien le travail et le combat que nous menons ici est difficile. Des cas comme ça, on en a plusieurs fois par semaine. Et encore ce matin, avant que je n’écrive ce texte : un jeune  qui frappe sa propre mère, l’insulte, parce que la drogue l’a rendu fou …

Le combat continue !

Photos Dimanche de Pâques 2016 à Akamasoa.

Voici les photos du Dimanche de Pâques à Akamasoa.