Le mariage précoce, une des causes de la pauvreté qui persiste
Cette semaine, à plusieurs reprises, j’ai été confronté à des drames de mariage précoce.
Depuis la nuit des temps, le mariage, l’amour entre un homme et une femme, est un signe de vie, d’amour, de respect, de la continuation d’une famille et d’une race.
Mais aujourd’hui à Akamasoa, je me rends compte que de nombreux jeunes, garçons et filles, délaissent leurs études à partir de 15, 16 ou 17 ans. Pour plusieurs raisons : ou bien parce que les filles sont tombées enceintes d’une façon inattendue, ou parce qu’un jeune homme les a séduites, et qu’elles n’ont plus eu la chance de se ressaisir, suivant cet homme qui leur a promis le ciel sur la terre, avant d’être confrontées quelques années plus tard, au contraire. Combien, en effet, parmi ces filles parties trop tôt, sont ensuite revenues dans la maison de leurs parents, renvoyées par leur premier mari ?
Ce problème de mariage précoce vient aussi du fait qu’avoir un enfant, pour les jeunes filles, cela signifie réaliser sa vie. Ce qui est certainement vrai mais pas dans l’adolescence, où l’on prépare encore son tempérament, son caractère, son bagage intellectuel et spirituel pour affronter la vie plus tard.
Cette exaltation du mariage, de l’amour romantique entre un homme et une femme, qui attire tant les adolescents, n’est qu’une façade du vrai amour. Une façade qui est vraie dans certains cas, mais pas toujours, pas systématiquement, pas d’une façon globale comme on veut le faire croire.
Le cas d’une famille
Cette semaine encore, j’ai vu le cas d’une famille, où la maman, abandonnée par le père, est restée seule pour s’occuper de leurs 7 enfants. Et l’aînée, une jeune fille de 17 ans, est déjà en ménage avec un jeune homme !
Lorsque j’ai rendu visite à cette famille, dans leur maison, la jeune mariée se trouvait là par hasard. J’ai demandé à la maman : pourquoi donc ta fille est partie si tôt, pourquoi n’a-t-elle pas étudié et accompagné, aidé à grandir ses petits frères et sœurs ? La maman m’a répondu : elle a trouvé un homme ; elle doit maintenant s’occuper de son mari et de son foyer.
Je me suis alors adressé à la jeune fille : si tu aimes cet homme, et s’il t’aime, pourquoi n’a-t-il pas pu attendre, avant de t’épouser, pour que tu puisses travailler et aider tes petits frères et sœurs ?
Nous aussi, dans ma famille en Argentine, nous étions nombreux. Et mes parents, des émigrés, se trouvaient en difficulté. Mais mes 6 sœurs ont attendu avant de se marier, elles ont aidé mes parents, et pas une ne s’est marié avant 22 ou 23 ans.
Ce mariage précoce, qui fait rêver tant de jeunes, s’avère un drame pour les jeunes filles plus tard. Bien que nous fassions régulièrement, dans nos écoles et avec nos docteurs, l’éducation sexuelle, et que nous parlions autant avec les garçons qu’avec les filles, il y a, parmi nos 14 000 élèves, toujours des dizaines qui tombent dans ce piège de l’amour idéal, du mariage heureux qui va embellir leur vie.
Une jeune fille en fuite
De même, s’est produit il y a quelques semaines, le cas d’une jeune fille d’à peine 18 ans, en seconde, qui était allé passer des vacances à la campagne, et qu’un jeune homme a charmé. Juste au moment de rentrer, de retourner à ses études, elle a disparue. Pendant une semaine, nous étions tous intrigués, et nous l’avons cherchée partout, car nous ne connaissions pas le garçon avec qui elle s’était enfuie. Nous l’avons finalement retrouvée 10 jours plus tard, sur un marché, et nous l’avons ramenée à la maison. Sa famille, ses amis, tous lui ont parlé, d’une façon aussi chaleureuse que dure, chacun avec sa pédagogie, pour essayer de la convaincre et la faire revenir dans le monde réel. Finalement, après des paroles parfois rudes, elle a décidé de continuer ses études. Et aujourd’hui après 1 mois, elle donne des signes s’apaisement ; elle semble revenue à la joie intérieure et normale d’une adolescente.
Hier, à la réunion hebdomadaire avec les dizaines de directrices des écoles d’Akamasoa, j’ai dû entendre que plus d’une douzaine de jeunes filles ont quitté les études parce qu’elles veulent se marier, avec celui qu’elles considèrent être l’homme de leur vie. L’expérience montre cependant qu’elles s’engagent dans un chemin difficile, d’autant plus qu’elles sont très peu aidées par leur famille, où père et mère sont désorientés, après avoir baissé les bras face à des réclamations fortes et brutales de leur part : c’est mon droit d’aimer, d’être aimé.
Les artistes
L’Etat malagasy, ses dirigeants, et surtout le ministère de l’éducation se rendent compte de ces drames et des pièges dans lesquels tombe la jeunesse. C’est pour cela qu’une campagne de prévention sur le mariage précoce avait été lancée. Dans une chanson, une jeune fille, d’une belle voix, chantait son amour pour son prince aimé, alors que son père essayait de la raisonner, lui aussi en chantant. Mais la voix de la fille était tellement belle, et les paroles du père qui cherchait la dissuader si peu audibles, comme en sourdine, que la campagne semblait poursuivre un but contraire. Ceux qui avaient composé la chanson donnaient raison à la fille qui veut se marier, dont la belle voix dépassait les paroles sages, réalistes et respectueuses du père. Finalement, il fut décidé de ne plus diffuser le morceau sur les ondes de radio.
De même, il m’est arrivé de dire à plusieurs artistes : vous qui avez une telle audience auprès les jeunes, pourquoi ne créez-vous pas des chansons pour les faire réfléchir sur le fait que l’amour est une chose difficile, un long chemin qui demande de s’engager et de se sacrifier pour le découvrir ? Cet amour de rêve ne court pas les rues. Un grand chanteur a ensuite composé un chant dans ce sens là . Mais par rapport au nombre, c’est encore très peu, et tous exaltent cet amour romantique. Ce qu’non peut dire c’est que sous le mot amour qu’ils utilisent nous ne mettons pas le même contenu qu’eux, nous les parents et éducateur.
L’explosion de la pauvreté
Il est urgent qu’aujourd’hui les responsables de l’Etat prennent ces problèmes à bras le corps pour aider et donner les moyens à toutes les écoles, collèges et lycées afin de dissuader les jeunes de s’engager dans le mariage précoce. Un mariage qui, dans tout le pays, a provoqué une explosion de la pauvreté.
Combien de fois en effet des jeunes filles m’approchent et me demandent : mon père, donne mon un travail, puis aussi un logement, car nous sommes 4 voire 5 couples dans une maison. Mon père, tu comprends bien qu’on ne peut vivre à 5 couples dans une maison, chacun de nous est adulte, et de fait a ses caprices et ses tempéraments.
Je leur réponds : quand tu t’es mariée si jeune, tu n’es pas venue me demander conseil. Maintenant tu me mets devant un fait accompli, et si beaucoup de jeunes imitent ce que tu as fait, c’est la fin de tous les efforts que nous avons accomplis dans les écoles, et on risque de revenir au point de départ. Et de mon côté, je me dis en moi-même : si je suis trop compatissant avec ces cas, je risque d’encourager d’autres à suivre le même chemin. Et quoi qu’on fasse la situation va être difficile.
A la célébration du dimanche, j’aborde souvent de front ce thème pendant l’homélie en m’adressant aux jeunes : quand vous voulez vous marier, prévoyez et réfléchissez bien avant de faire le pas décisif ! Des choses sont indispensables : vous devez avoir plus de 20 ans, il faut que le garçon que vous aimiez ait un travail, car sinon comment subviendrez-vous à vos besoins et à ceux de votre foyer ? Et avant le mariage, il faut aussi que vous possédiez un petit logement pour vous installer. Si ces 3 conditions ne sont pas réunies, il est sage de ne pas penser à ce rêve d’amour et de vie commune, qui n’en est pas un.
Le rôle de l’État
Il est certain que cette explosion des mariages précoces a provoqué une promiscuité, dans laquelle la famille s’est désunie et désintégrée. Le manque d’espace, de nourriture, le manque de tout, ne peut produire que la bagarre, la zizanie, l’explosion même de la famille. Et les conséquences de cela, observées dans nos villages, sont parfois des blessures à l’arme blanche.
L’État pourrait utiliser toutes ces statistiques qui dans chaque pays montrent à partir de quel âge les jeunes sont poussés à se mettre en couple, afin de prévenir les catastrophes produites par les séparations précoces, les suicides parfois, les situations où c’est la mère qui se retrouve seule avec des enfants sur le dos, dont elle ne peut matériellement s’occuper.
Pourquoi l’État n’a pas pu construire des milliers de logements pour ses propres enfants ? Pourquoi ne leur donne-t-il pas la possibilité et des facilités pour payer un loyer raisonnable, afin de seulement pouvoir vivre, et ensuite construire une famille ?
Aujourd’hui, pour une famille, construire une maison relève de la loterie, c’est un rêve, presque inaccessible. Cela ne peut durer à l’infini, car on crée le chaos d’une façon volontaire. Nous disposons pourtant des moyens pour construire des maisons à bas prix, accessibles à tout le monde, cela est possible. Mais il faut que ce soit connu, et à la portée des gens.
L’urgence de ces aides, ces milliers de logements, qu’il est possible de construire en Europe, devrait aussi être réalisé à Madagascar. Sinon ne nous étonnons pas que des bidonvilles naissent un peu partout dans Antananarivo, où les gens s’installent près des canaux d’évacuation, des chemins de fer, partout où ils trouvent le moindre espace vide, s’installent de façon anarchique mais poussés par la nécessité, dans cette capitale où la poussée de la démographie a fait de chaque parcelle encore inoccupée un objet convoité.
Le vol de terre
Dans le même registre, les vols de terre sont devenus un sport national. Le comble, c’est que ce ne sont même pas les pauvres qui le pratiquent, mais des gens déjà aisés, roulant dans de grosses autos, qui grâce à des connivences avec les autorités en charge des cadastres et le service des domaines, s’accaparent ces terres et vendent aux plus pauvres. Et ainsi ce sont encore les plus pauvres qui payent la facture.
Cela est devenu un drame. Tout autour d’Akamasoa, nous sommes sur le qui vive parce que partout des gens veulent occuper des terres déjà attitrées. Les responsables ne réagissent pas de façon conséquente, et cela encourage les mal intentionnés, les astucieux, ceux qui prônent la gabegie à bon marché. Ces voleurs de terre insultent, font prévaloir leur force du côté de la loi, quand eux mêmes détruisent la loi, et créent des fondations de futurs bidonvilles où il n’y aura aucun plan d’urbanisme, aucune route ni trottoir. Les gens s’installent de façon sauvage un peu partout, et cela, on le payera dans quelques années ; on demandera des comptes, et à qui en revient la responsabilité.