Douze ans déjà
« Chers amis, chers bienfaiteurs !
Notre association humanitaire « Akamasoa » a maintenant douze ans.
« Déjà ! » pourrais-je dire ; tant nos journées sont occupées et tant, ainsi, passent les mois et les années.
Chaque jour apporte son lot de difficultés et parfois de drames : tous ces événements nous affligent et quelquefois très douloureusement : partage des peines.
Chaque jour nous apporte aussi ses bouquets de rires joyeux, la tendresse et le courage inépuisable des personnes qui luttent pour prendre leur vie en mains : tous ces événements sont comme l’eau qui désaltère et entretient la vie.
Chaque jour nous convainc que le but que nous avions donné à notre association, au moment de sa création, est toujours juste : accompagner la réintégration sociale des personnes qui vivaient dans les rues et sur la décharge d’ordures d’Antananarivo et que nous avons accueillies.
Ce but est juste, car l’expérience nous prouve qu’il faut beaucoup de temps pour que ces personnes, qui ont tant été délabrées par la grande misère, parviennent « à tenir debout » seules. Ce but est encore juste, parce que, hélas, il y a des centaines de milliers de personnes qui vivent ici, et aussi ailleurs dans le monde, dans la pauvreté extrême.
D’année en année, nous observons que la mentalité des personnes qui vivent dans les villages d’Akamasoa change peu à peu : la discipline sociale et celle du travail quotidien sont mieux respectées. L’intégration sociale avance à mesure que le travail de réhabilitation personnelle est approfondi.
Mais ces progrès ne vont pas sans difficultés tant il est dur de quitter les vieilles habitudes : certains retombent dans les vices qui ont accompagné leur misère (drogue, alcoolisme, prostitution, retour à la vie errante dans les rues, vols,…). Chaque jour, les équipes d’Akamasoa reprennent leur travail à bras le corps pour soutenir les efforts de ceux qui défaillent en route : elles trouvent le courage nécessaire à cette rude tâche dans la certitude inébranlable que toute pauvreté peut aujourd’hui être éradiquée pour les personnes de ce temps.
Nous savons que Dieu est le plus puissant et inépuisable soutien. Qu’Il soit loué pour les grâces qu’Il accorde à chacune des 16 000 personnes qui vivent dans les 16 villages que nous avons construits. Sans ces grâces, comment ceux qui viennent à retomber pourraient-il se remettre en marche ? 29 La grâce de la foi qui anime les équipes d’Akamasoa vient de notre total et confiant abandon en Dieu, Père de tous les hommes, qui est avec nous chaque jour, comme il sera toujours avec chaque être humain jusqu’à la fin des temps.
Depuis des années, la « lutte contre la pauvreté » est le sujet de colloques, de séminaires et de tables rondes, à travers le monde. Ces réunions se nourrissent de quantités de rapports qui analysent les causes de la pauvreté et décrivent les solutions pour y faire échec.
Nous pouvons tous constater que l’écart des revenus entre les pays riche et les pays pauvres ne cesse de croître, tout comme ne cesse d’augmenter l’écart entre les riches et les pauvres des pays pauvres. Alors, je ne peux pas m’empêcher de m’interroger sur l’utilité de ces conférences. Quels progrès les plans de lutte contre la pauvreté qui en ressortent et qui font l’objet de tant de déclarations politiques, ont-ils permis ?
Sincèrement, le constat de la pauvreté grandissante d’une majorité d’hommes et de femmes, alors que la richesse d’une très petite minorité augmente toujours, me paraît exiger que les économistes du développement et les experts en politique sociale procèdent à un examen de conscience professionnelle.
Je crois que le travail des organisations humanitaires qui accompagnent les pauvres sans leur lutte contre leur misère devrait être considéré par les experts et les hommes politiques qui veulent véritablement faire un travail utile et efficace.
En effet, l’expérience concrète de terrain nous a appris que le combat contre la pauvreté est une bataille permanente qu’il faut mener au milieu et avec les pauvres, parce que les racines de la pauvreté sont très profondes et d’une grande ampleur sociale. Ces racines sont profondes, parce que l’homme est un être égoïste et que discipliner cet égoïsme est un travail énorme de conversion personnelle qui est plus ou moins soutenu selon les sociétés et les époques. Ces racines sont aussi d’une grande ampleur sociale, car la régulation des égoïsmes individuels et des égoïsmes sociaux et nationaux dépend de la volonté politique d’organiser les sociétés et les relations entre pays pour qu’il en résulte une gestion équitable des richesses et une solidarité active entre les hommes. Je dis ici que la lutte contre la pauvreté est d’abord et fondamentalement un problème politique.
Enfin, parce que les sociétés changent selon les époques et les cultures, la lutte contre la pauvreté est un combat qui ne sera jamais achevé : il devra être mené de génération en génération en écoutant ceux que nos égoïsmes rejettent, pour leur donner la parole et agir avec eux.
Au moment où j’écris ces lignes, Madagascar est en campagne électorale présidentielle. Les six candidats promettent tous qu’ils lutteront contre la pauvreté, et tous veulent aussi combattre la corruption qui mine la société parce qu’elle détruit la 30 morale civique et qu’elle a un coût économique important. Pourquoi douter de leurs intentions ? Nous voulons les croire.
Je sais que le peuple de Madagascar veut le changement.
Le 16 décembre prochain, les électeurs sont appelés à choisir leur Chef d’Etat. Nous devons prier pour que le candidat qui sera élu ait la sagesse d’écouter vraiment, c’est-à-dire avec le cœur et avec l’intelligence, la voix des millions de pauvres de ce Pays ; ce Pays magnifique dont les richesses naturelles gérées en partage équitable permettraient de venir à bout de la misère des parents de ce temps pour qu’ils assurent alors l’avenir de leurs enfants.
Mais Akamasoa ne peut rester inactif, car nous savons que les pauvres sont les derniers à être servis, s’ils ne prennent pas leur destin en mains. C’est pour cela que l’action d’Akamasoa doit être poursuivie pour écouter les pauvres, les soigner de la maladie, les instruire et les mettre en situation de vouloir et pouvoir travailler.
Par notre action, nous contribuons à soigner la société malgache, parce que toute société qui a des pauvres est une société qui est malade et qui souffre.
Chers amis, chers bienfaiteurs,
Au nom des 16 000 personnes qui ont sollicité en confiance le soutien d’Akamasoa et en mon nom, je me dois de remercier du fond du cœur toutes celles et tous ceux, institutions grandes ou petites, paroisses et communautés, bailleurs biet multilatéraux, et aussi tant et tant de personnes privées, dont certaines sont anonymes, pour tous les dons que vous nous avez accordés en cette année 2001. Vous devez savoir que sans ces dons, petits ou gros, et qui ont pour Akamasoa la même importance, nous n’aurions pas pu mener à bien la plupart des objectifs que nous nous étions fixés en 2001 pour continuer à accompagner l’amélioration des conditions de vie des familles, des enfants et des vieillards qui vivent dans nos villages.
Permettez-moi une confidence, parce que je voudrais faire appel à votre témoignage. Cette confidence, c’est la peine de toute l’équipe lorsqu’elle entend que l’on dit ici et là : « Akamasoa du Père Pedro est très aidée ! ».
En 12 ans, nous avons œuvré pour qu’un maximum d’adultes aient un travail et donc un revenu. Mais que peut être le travail des personnes qui ont vécu dans la rue et sur les décharges d’ordures et qui, de ce fait, n’ont pas ou pratiquement pas reçu d’instruction et n’ont jamais ou si peu exercé une activité suivie pour apprendre tant soit peu un métier ? Comment ne pas comprendre que le travail que peut exercer une personne issue de la misère est nécessairement un travail non qualifié et, par conséquent, que ce travail est forcément peu rémunérateur ? Comment ne peut-on comprendre, ici ou là, que, dans le contexte économique de Madagascar qui offre si peu d’emplois même non qualifiés, Akamasoa ne peut assurer aujourd’hui son autonomie économique et financière ?
Je crois nécessaire d’insister pour éclairer la réalité que nous vivons chaque jour : les revenus du travail des adultes d’Akamasoa sont nécessairement insuffisants pour assurer une vie humaine aux 16 000 personnes qui sont venues de la misère totale, d’où ils n’avaient rien car ils étaient dépouillés de tout.
Avons-nous eu tort de relever tous les défis (logement, santé, éducation, formation professionnelle, subsistance pour les plus pauvres,…) pour accompagner ces milliers de personnes à reprendre le chemin de la vie et pour que demain leurs enfants et petits-enfants ne connaissent plus une vie inhumaine ?
C’est toute l’équipe d’Akamasoa, entièrement composée de malgaches, qui se dévoue avec courage, ténacité et confiance pour mener ce travail.
Ce travail est immense. Il est fait d’incertitude. Quelle difficulté imprévue peut arriver ? C’était, en l’an 2001, la destruction par un incendie e logements provisoires : il a fallu les reconstruire dès le lendemain. C’était encore le retard, incontrôlable par Akamasoa, de 7 mois pour la livraison de l’aide alimentaire : il a fallu puiser dans nos réserves et diminuer grandement les rations.
Notre devoir est de faire face à toutes les difficultés. Nous le faisons parce que nous gérons les ressources de vos dons en constituant quelques réserves de secours. Il nous est impossible de laisser sans solution les problèmes qui surviennent, parce que les familles nous font confiance pour les accompagner.
La confiance que vous accordez à Akamasoa répond à la confiance que nous font tous ceux qui nous ont tendu la main. Nous formons ainsi une chaîne de frères et de sœurs.
Encore une fois, votre confiance est un encouragement pour continuer inlassablement notre travail humanitaire, c’est-à-dire d’humanisation du monde.
Nous vous remercions encore pour votre fidélité, vos dons et pour le témoignage que vous donnerez de l’équipe d’Akamasoa, je souhaite à chacune et à chacun une bonne et heureuse nouvelle année 2002 : que la grâce et la paix de Dieu vous gardent !
Conclusion
COMBAT DES PAUVRES POUR UNE VIE DIGNE DE L’HOMME
Après douze ans de soutien moral, matériel et spirituel pour accompagner les pauvres dans leur combat contre la fatalité de leur vie dans la misère, fatalité qui était l’horizon des 16 000 personnes accueillies par Akamasoa, nous confirmons, cette année encore, qu’une solidarité a grandi et ne cesse de s’affermir.
C’est un progrès considérable : plus nombreux sont celles et ceux qui s’entraident moralement, voire aussi matériellement.
La tâche d’Akamasoa n’est pas terminée. Nous devons continuer à travailler pour que les adultes de demain conquièrent les moyens de ne plus avoir à espérer l’aide extérieure. C’est pourquoi, notre préoccupation constante est d’éduquer et de former les enfants à un métier. C’est à cette condition que les ressources des familles proviendront du travail : un travail qui permettra à chaque famille d’être économiquement autonome.
C’est dans cette action de tous les jours que nous passons du stade de l’accompagnement humanitaire à une action réelle de développement au sens noble et concret du terme, parce qu’une grande partie de familles a maintenant dépassé l’étape de secours psychologique, affectif, moral et matériel, et qu’ils sont alors devenus moteurs de leur propre avancement !
Nous confirmons ce que nous avions annoncé dans notre bilan de l’an 2000 : parvenir à l’autonomie en 2006. Nous savons que c’est une ambition énorme et que le chemin sera rude et long.
Malgré les difficultés auxquelles il faut faire face chaque jour, nous sommes encouragés dans cette perspective. Cet encouragement trouve sa raison dans le sacrifice énorme qu’acceptent de nombreux parents qui cotisent davantage à la caisse maladie d’Akamasoa et qui, depuis l’année 2001, déposent des petites économies auprès de la caisse d’épargne : ces économies sont petites et fragiles (il faut souvent les retirer pour affronter les aléas de la vie), mais elles sont tellement grandes au regard de leurs maigres ressources. Ces sacrifices énormes n’ont d’égale que la volonté de vaincre la misère ; la misère qui a sa source dans l’égoïsme de l’homme et que les sociétés ne sont pas toujours capables de réguler pour le bien de tous.
Malgré la peur de l’autre, le repli sur soi, l’intolérance et le fanatisme, qui ont conduit au drame du 11 septembre 2001, nous savons que l’utopie de l’amour entre les hommes est aussi une réalité, parce que l’être humain est capable de dépassement insoupçonné et parce que des hommes honnêtes peuvent accéder aux pouvoirs politique et économique pour travailler à la solidarité au sein des nations et entre les nations.
C’est notre foi en la bonté de Dieu qui nourrit notre engagement quotidien auprès des plus démunis, pour les accueillir, les écouter, les soigner et les éduquer pour qu’ils prennent leur destin en main. Mais nous ne pourrons réussir seuls dans cette tâche. Nous croyons que notre travail humanitaire et de développement, s’il est connu, saisira le cœur généreux de personnes de bonne volonté qui seront à nos côtés. »