Quand un jour de fête d’Eglise tombe au milieu de la semaine, nous sommes souvent gênés puisque nos milliers d’ouvriers, qui sont parmi les plus pauvres, vivent du fruit de leur travail quotidien. C’est totalement différent des ouvriers en Europe, payés mensuellement, avec un salaire 20 fois plus important, et qui peuvent très bien arrêter une journée ou deux, et même faire un pont de 4-5 jours. Cela est impossible pour les ouvriers de nos carrières, qui mangent ce qu’ils gagnent durant leur journée de travail.
Voyant l’envie de travailler de ces familles, de donner à manger à leurs enfants, nous avons pris l’habitude de fêter l’Ascension, le 15 août et le 1er novembre, très tôt le matin, afin qu’ensuite les gens puissent retourner à leur travail, et gagner leur riz de la journée. Et ces 3 célébrations, nous les faisons dans une de nos carrières, à Mahatazna, que nous appelons cathédrale.
A la différence des cathédrales d’Europe qui sortent de terre, la cathédrale d’Akamasoa est creusée dans le granit. Après 27 ans de travail, en effet, nous avons créé deux grands cratères à l’intérieur de la montagne de granit autour de laquelle se trouvent nos villages. Et dans celui du quartier de Mahatazana, nous avons aussi sculpté un autel dans une pierre d’un seul tenant qui vient de la carrière même.
A chacune de ces fêtes nous rassemblons des milliers de personnes, mais je pense qu’en cette Ascension 2016 nous avons battu des records et que 10 000 personnes sont venues célébrer cette fête de l’Ascension du Christ au Ciel.
Chaque fois que je dis la messe devant des milliers de personnes, et ce jeudi, entouré de plus de 225 enfants de chœur, une vraie émotion est présente, une vraie communion, on se sent emporté comme au temps de Jésus. Les gens sont assis à même le sol, sur les moellons, à l’intérieur de la carrière. Et ce mur de granit qui nous entoure de tous côtés, nous rappelle cette matière de couleur grise, tellement mystérieuse, qui nous a précédés de milliards d’années. Et c’est ce gris qui change de couleur de minute en minute, avec les rayons du soleil, cela crée le mystère de ce lieu.
Jorge, un ami argentin, pédiatre, venu avec ses amis, a lui aussi senti qu’il y avait beaucoup d’énergie dans ce lieu. Il était venu filmer une messe, et il a été pris par l’énergie du lieu, de sorte qu’il a dit : j’ai rarement vécu un moment aussi fort que ce matin de l’Ascension, au milieu de ce peuple. Et avec ses 3 caméras, il a vidé toutes ses batteries, avant même le milieu de l’Eucharistie.
Ce jour-là, avec une voix rauque, entamée par le rhume, mais avec un micro qui portait et résonnait loin (car on pouvait nous écouter à 1km !), j’ai insisté, devant mes frères présents, la plupart étudiants et ouvriers, sur le fait que nous sommes là pour continuer à créer une vie plus juste, plus fraternelle et plus solidaire, avec ce Jésus qui a disparu devant nos yeux. Cet homme qu’on ne voit plus, et en qui pourtant nous croyons, et au nom duquel nous avons été baptisé.
Un peu à l’image de l’Ascension, j’ai demandé aux gens de tourner leurs yeux vers le ciel, ce jour-là très pur, et ensuite, j’ai repris les paroles de l’Ange : pourquoi regardez-vous le ciel, quand il faut vous occuper de votre famille, de vos enfants, de votre village, et proclamer avec votre vie l’amour de Dieu pour chaque être humain ?
Nous aussi nous vivons sous le régime de croire sans voir. Notre foi manifeste une confiance et un don total et absolu en un Dieu d’amour que nous n’avons jamais touché, en Jésus que nous n’avons jamais vu de notre vie, mais en la présence duquel nous croyons, dès que 2 ou 3 se réunissent en son nom, comme lui-même l’a dit.
Quand ce sont 10 000 frères et sœurs qui sont réunis dans la foi en Jésus et en son message, nous devrions sentir davantage, toucher, voir cette entraide et cet amour entre nous.
Nous avons déjà combattu l’extrême pauvreté, l’égoïsme, le chacun pour soi, l’anarchie pendant 27 ans. Ce combat peut être continué, aussi longtemps que l’homme sera le prédateur de son frère, à condition que nous ayons cette énergie, cet amour, cette foi, cette union entre nous, qui est don et grâce de Dieu.
Quand on voit un peuple si nombreux, soudé, si uni ensemble, cela frappe tout le monde, interpelle, saisit le sentiment humain de n’importe quelle personne sur terre, même si elle a un cœur de pierre.
Et j’ai insisté là-dessus : nous sommes un peuple qui vit de cette union, de cet effort, de cette justice. Bien sûr rien n’est parfait, mais nous sommes orientés par ce désir d’être plus vrai, plus juste et plus fraternel. Et tout doucement nous avons réalisé cela, avec des hauts et des bas.
Ce qui est incroyable, c’est que cette unité nous fait vivre. Les gens qui passent, en effet, voyant cet amour réciproque que nous vivons, nous aident, et partagent avec nous une partie de leurs richesses, afin que nous puissions travailler, même si c’est avec 1€ par jour, pour donner un avenir à nos enfants.
Par exemple, après ce jour-même de l’Ascension, un frère algérien, musulman, a partagé avec nous un repas, et nous a donné une enveloppe avec une somme très conséquente : 1 000 jour de travail pour un ouvrier !
Quand il y aura moins de corruption, de gabegie, plus de justice dans ce pays, on pourra rêver d’avoir un salaire plus juste, et plus adéquat aux besoins de la vie, et ainsi élever notre niveau de vie. Parce que la vie est difficile dans le monde entier, et aussi en Afrique. Mais pour le moment, l’urgence est de préparer l’avenir de nos enfants. Les standards de la commodité passent au second plan.
A 9h, la célébration était finie, et tout le monde s’est dispersé, dans la joie et le bonheur d’avoir vécu un moment spirituel très fort. C’est cette force spirituelle, cette Parole de Dieu que nous avons accueillie dans nos cœurs qui nous pousse à nous occuper de nos enfants et de nos prochains, les pauvres et les oubliés de notre société.
Voici quelques photos qui parlent de cette fête l’Ascension !